[Retour à la page des fictions interactives]
[English version of this webpage]
Depuis ses débuts jusqu’à l’heure actuelle, il semblerait que la fiction interactive parle principalement l’anglais. La première fiction interactive jamais écrite, Adventure, créée par Will Crowther, fut écrite en anglais, son terrain de jeu modelé d’après une grotte du Kentucky, et se répandit via l’ARPANET, un réseau de communications strictement américain. Plus tard, Infocom écrivit des jeux qui sont encore à l’heure actuelle considérés comme faisant partie du canon de la fiction interactive, et ces jeux, encore une fois, étaient écrits en anglais. Au début des années 1990, TADS et Inform furent conçus par des anglophones, et la majorité des jeux qui furent par la suite développés en utilisant ces outils de conception furent écrits en anglais. Il se trouve que, à la date d’écriture de cet article, il y a 3732 jeux sur l’IFDB, et parmi eux 388 ne sont pas écrits en anglais [1] : 90% de la production de fictions interactives est écrite en anglais. La majorité des auteurs et critiques de la fiction interactive parlent donc anglais, et la fiction interactive est principalement un genre anglophone.
Cependant, la fiction interactive existe également dans d’autres langues et cultures, bien qu’en nombre plus réduit. En effet, Inform et TADS ont été traduits dans d’autres langues ; les bibliothèques pour Inform ont été traduites dans huit autres langues que l’anglais [2], ce qui veut dire que n’importe qui pourrait écrire un jeu dans une de ces langues. La plus grande communauté non-anglophone de fiction interactive est la communauté hispanophone, principalement centrée autour du CAAD (Club de Aventuras AD) ; quant à la deuxième plus grande, ce n’est pas aussi clair : la communauté germanophone semble avoir beaucoup de jeux à son actif, mais on pensait qu’elle était morte il y a quelques années [3] (cependant, elle renaquit l’an dernier) ; la communauté italophone était très active au début des années 2000, mais son activité est en déclin depuis ; la communauté francophone, quant à elle, a une activité régulière, mais a moins de jeux à son actif.
Comme l’ont remarqué plusieurs critiques de la fiction interactive, parmi eux Jeremy Douglass [4], le fait que l’anglais domine les échanges dans le champ de la fiction interactive a pour conséquence que la plupart des comptes rendus de l’histoire du genre sont centrés sur des oeuvres en anglais, et par exemple mentionnent Infocom comme faisant partie du canon de la fiction interactive, d’où la majorité des jeux ont alors puisé leur inspiration, et évoquent sa grande influence sur le genre. Mais, comme certains le notent alors, les jeux publiés par Infocom ont eu certes beaucoup de succès en Amérique du Nord, mais leur succès dans d’autres pays est autrement plus variable. La question se pose alors : la version de l’Histoire du genre qui mentionne Infocom comme une influence majeure et déterminante sur le genre est-elle toujours crédible quand on remarque que toutes les autres communautés de fiction interactive se sont développées sans cette influence ? De fait, chacune des autres communautés a sa propre histoire -- on pourrait même parler d’Histoires parallèles -- concernant la façon dont sa fiction interactive s’est développée. Ces Histoires sont certainement intéressantes, notamment comme point de comparaison ; elles donnent une autre perspective sur le marché de la fiction interactive (donnant un autre point de vue sur la question de savoir si la fiction interactive est morte à cause de la faillite d’Infocom ou si c’était un changement plus général dans le marché du jeu vidéo), et donnent également l’occasion à ces communautés de s’établir comme indépendantes, avec une culture qui leur est propre.
Malheureusement, à l’heure qui est, ces Histoires sont parfois partielles, très peu sont disponibles et bien souvent peu détaillées. Quelques-unes furent écrites par divers membres de ces communautés et publiées dans SPAG ; une chronologie de la fiction interactive francophone fut écrite par Grégoire Schneller (« Eriorg ») et fut publiée dans le numéro 47 de la revue, la fiction interactive russophone fut mise à l’honneur par Sergey Minin dans le numéro 48, l’histoire de la fiction interactive hispanophone parue dans le numéro 49 fut écrite par Pablo Martinez Merino (« Depresiv »), et une rubrique fut spécialement consacrée à la fiction interactive italienne (et son histoire, écrite par « torredifuoco ») dans l’édition 51. Ces Histoires sont en général plutôt longues et bien écrites, et donnent une idée de la chronologie de la fiction interactive dans ces communautés. Cependant, elles restent les seules dans leur genre, et sont donc incomplètes : il y a bien plus à dire, à écrire, à étudier, à chercher. Ces histoires doivent être examinées plus avant, car elles peuvent nous apprendre beaucoup ; j’espère qu’à l’avenir, nous verrons plus d’études portant sur la fiction interactive dans d’autres langues que l’anglais, qui évoqueront les aspects de la fiction interactive partant d’une perspective différente.
En tant que membre de la communauté francophone de fiction interactive, je ne peux parler que de cette communauté et son histoire, car je ne connais pas d’autres communautés -- comme toujours, la barrière de la langue rend difficile la communication entre les communautés. Dans ce qui suit, je tenterai de pousser l’étude de la fiction interactive francophone plus loin que ce qui fut déjà fait, notamment en parlant plus en détail de la période des années 1980, une période qui ne fut pas vraiment étudiée jusqu’à présent. Cette histoire des années 1980 -- ainsi que, brièvement, celle de l’ère moderne -- me permettra de parler un peu plus en profondeur de certains aspects techniques de la fiction interactive francophone, et de les comparer à ceux de la fiction interactive anglophone (et, plus précisément, les jeux Infocom).
Commençons par parler un peu du marché des jeux vidéo dans la France des années 1980, et de ce qui va nous intéresser ici plus précisément, le marché des micro-ordinateurs. Premièrement, il faut rappeler quelques faits concernant la France dans les années 1980 : la population atteignait alors 55 millions d’habitants, et la monnaie était le franc français (FF). A cause de l’inflation, il est difficile de donner un équivalent en euros (le taux de conversion à l’introduction en 2002 était de un euro pour 6.55957 francs) ou dans une toute autre monnaie. On note cependant qu’en règle générale, un ordinateur coûtait quelques milliers de francs, et un jeu coûtait quelques centaines de francs.
Premièrement, on note qu’il semblerait que le marché du jeu vidéo n’était pas vraiment développé avant l’année 1980 ; quelques micro-ordinateurs étaient vendus, mais ils étaient plutôt chers. Puis vint la série des micro-ordinateurs ZX, fabriqués par Sinclair : le ZX-80 sortit en France en février 1980 et était le premier micro-ordinateur à être vendu moins de 1000FF. L’année suivante vit la sortie du ZX-81, qui devint le micro-ordinateur le plus vendu à l’époque en France. Il est difficile de trouver des chiffres de vente précis, mais en 1981 une publicité pour cet ordinateur affirme que « des dizaines de milliers de novices possèdent déjà un Sinclair ZX 81 en France » [5] (et des ventes de 800 000 exemplaires, parlant vraisemblablement de ventes à l’échelle mondiale), tout en mentionnant un prix de vente de 790FF (500FF seulement pour la version non montée), et écrivant que les cassettes de jeux sont vendues à un prix « variant entre 50FF et 150FF » (ce qui n’était pas cher). Cet ordinateur fut vendu de 1981 à 1987, date à laquelle on arrêta sa production pour se consacrer à la production du ZX Spectrum (qui sortit en 1984 en France), qui ne se vendit pas aussi bien que le ZX-81 (bien que son prix de vente fut aussi attractif que celui du ZX-81).
Le Commodore C64 sortit l’année suivante, en 1982, et rencontra un grand succès. Malgré son prix de 4800FF et son poids, ce fut un best-seller en France : environ 1,5 millions furent vendus durant les années 1980, pas seulement en tant que console de jeu mais aussi comme ordinateur de bureau [6]. Le C64 eut beaucoup de succès dans le monde entier, et en conséquence de nombreux jeux furent disponibles sur cette plateforme à cette époque (comme par exemple les classiques Arkanoid et Pong). Commodore tenta d’améliorer son modèle avec le Commodore Plus/4, qui était moins cher (1990FF), mais n’eut pas autant de succès que le C64, en partie à cause du fait qu’il n’était pas rétro-compatible avec les programmes du C64. En 1985, alors que des micro-ordinateurs aux meilleures caractéristiques techniques commençaient à être vendus sur le marché, le prix du C64 baissa sensiblement et il devint un ordinateur meilleur marché. Des jeux pour le C64 furent vendus jusqu’en 1994.
Les années qui suivirent marquèrent le début d’un boom dans les ventes de micro-ordinateur en France, autour de la fin 1983 et du début 1984 [7]. Plusieurs micro-ordinateurs apparurent et rencontrèrent un grand succès, et de nombreux jeux parurent également : cette période marque le début du jeu vidéo en France.
Le premier micro-ordinateur à initier ce boom est l’Oric-1. Oric était une entreprise britannique (rachetée en 1985 par Eurêka, une entreprise française) qui vendait principalement ses ordinateurs en Europe ; même si les ordinateurs avaient quelques problèmes et bugs (par exemple avec leur langage HyperBasic inclus dans l’ordinateur), ils étaient bon marché et rencontrèrent un grand succès au Royaume-Uni et en France. L’Oric-1 avait une mémoire de 48 Ko et un processeur cadencé à 1 MHz. A sa sortie, il coûtait 2000FF, mais il fut vendu plus tard au prix de 1000FF ; il pouvait être connecté à l’écran de télévision, ce qui en faisait un ordinateur pour toute la famille. En France, juste en 1983, il se vendit 50 000 Oric-1 [8] ; le modèle fut élu « Ordinateur de l’Année 1983 » [9]. L’année suivante voit la parution de l’Oric Atmos (vendu d’abord à 2490FF, puis il passa à 990FF l’année qui suivit [10]) et rencontra autant de succès, sinon plus : 27 000 furent vendus dans les trois mois suivant sa sortie en février 1984, et 120 000 au total dans les deux premières années de l’ordinateur [11]. Le succès de ces deux micro-ordinateurs eut pour conséquence le développement de nombreux jeux français, et en particulier des fictions interactives. Le premier Oric conçu par Eurêka, le Telestrat, sortit en 1986, mais se vendit très peu (environ 2 000 unités vendues).
Un autre micro-ordinateur qui eut du succès en France par la suite était l’Amstrad CPC. Le Amstrad CPC464 sortit en septembre 1984 et fut instantanément un best-seller ; l’idée était de construire un ordinateur qui ne serait pas très cher, prêt à l’emploi instantanément, et vendu en supermarchés pour attirer les familles. Il fut vendu au prix de 2990FF (4990FF avec un écran couleur [12]) et se vendit extrêmement bien : on estime que 2 millions d’unités furent vendues en France dans les années 1980 ! [13] Voyant le succès que cet ordinateur rencontrait, de nombreuses revues sur le CPC464 furent créées : on était alors en plein boom du micro-ordinateur. Son successeur, le CPC6128, sortit en 1985 et se vendit très bien lui aussi. Ces deux ordinateurs régnaient sans partage sur le marché du jeu vidéo en France pendant des années, jusqu’à ce que les consoles japonaises viennent les concurrencer et prendre leur place à la fin des années 1980, la NES de Nintendo et la Master System de Sega en tête.
Les ordinateurs Apple commençaient à rencontrer un certain succès eux aussi. Le premier micro-ordinateur Apple vendu en France fut le Apple // Europlus (qui est en gros le même que le Apple //+, mais pour le marché européen -- différence dans les types de câble, par exemple) en 1980 ; il ne se vendit pas très bien, à cause d’erreurs dans la conception et de son prix très élevé (12000FF avec le lecteur de disques [14], ce qui était cher même pour un ordinateur en couleurs), mais l’on verra que cet ordinateur joua un rôle important dans la création de la fiction interactive en France. Le modèle suivant de l’Apple //, l’Apple //e, se vendit plutôt bien, mais c’est l’Apple //c qui rencontra le plus de succès : sorti en 1984, il avait un écran couleur et une souris et se vendit très bien, pas autant cependant que les ordinateurs dont nous avons parlé précédemment.
En dernier lieu, les micro-ordinateurs Atari ST eurent un certain succès eux aussi. Le premier d’entre eux sortit en 1985, et un ou deux autres sortirent quelques temps après ; les chiffres de vente au niveau mondial de ces micro-ordinateurs atteignirent 6 millions d’unités. Ce micro-ordinateur avait de bonnes caractéristiques techniques pour un prix plutôt attrayant (3000FF, un tiers du prix moyen d’un ordinateur avec écran couleur à l’époque). La majeure partie des ventes de l’Atari ST se concentra en Europe plutôt qu’aux Etats-Unis ; 2 millions d’unités furent vendues en Allemagne, et 600 000 unités en France [15]. De fait, plusieurs magazines en France se consacraient exclusivement à cet ordinateur, et nous verrons par la suite que de nombreuses fictions interactives sortirent sur l’Atari ST [16].
En résumé, l’Amstrad CPC, l’Oric et l’Atari ST furent les micro-ordinateurs qui se vendirent le mieux en ce temps, et initièrent un boom de l’industrie du jeu vidéo en France à partir de 1984. D’autres micro-ordinateurs qui eurent du succès furent les séries ZX, Commodore et Apple. Nous verrons que la plupart des fictions interactives qui sortirent dans les années 1980 sortirent sur les ordinateurs Atari, Amstrad, Oric, Apple ou même Commodore -- il semblerait que la série des ZX étaient déjà trop vieux lorsque les premières fictions interactives furent créées.
Parlons un peu des ventes de jeux vidéo à cette époque. Le numéro de juillet 1984 du magazine Tilt contient un article nommé « La puce aux oeufs d’or » traitant de la croissance du marché du jeu vidéo en France, notant qu’il pourrait apporter gloire et fortune à n’importe quel bon programmeur de jeu vidéo, comme ce qui était en train de se passer aux Etats-Unis à cette époque. Il est dit dans l’article que, puisque « il existe 30 fois plus d’ordinateurs individuels aux Etats-Unis qu’en France » [17], « là-bas, une cassette ou une disquette peut facilement se vendre à 100 000 voire 1 million d’exemplaires [...] ; pour la France, ces chiffres sont à diviser par 50 ou 100 » [18]. Un peu plus loin dans l’article, on évoque le fait que « une bonne vente se situe autour de 3 000 exemplaires » [19]. Les créateurs d’un jeu pouvaient à l’époque demander des royalties entre 10% et 25% -- ce qui paraît beaucoup, mais au vu des chiffres de ventes cela ne rendait pas les développeurs d’un jeu particulièrement riches. Malgré cela, l’article parle d’une grande ambition présente chez les éditeurs de jeux vidéo et la volonté de profiter autant que possible du boom qui était en train de débuter à l’époque ; l’article cite notamment des propos Laurent Weill, l’un des créateurs de Loriciels, dont nous reparlerons un peu plus tard.
Maintenant que nous avons décrit le paysage du marché du jeu vidéo en France dans les années 1980, concentrons-nous sur la fiction interactive à proprement parler. Si l’on regarde l’histoire canonique de la fiction interactive généralement donnée, le genre fut créé par Adventure et Zork, des jeux qui tournaient sur de gros ordinateurs centraux (« mainframes »), et un peu plus tard des jeux Infocom sur les micro-ordinateurs. On peut se poser la question : est-ce que cette version de l’histoire du genre est toujours valide quand on considère le développement de la fiction interactive en France ?
On reconnaît en général que la première fiction interactive jamais écrite est Adventure, écrite en 1975 par Will Crowther en Fortran sur un ordinateur central PDP-10. Ce jeu se répandit comme une traînée de poudre sur le réseau américain ARPANET et rencontra un succès massif. A la suite de ce succès, une poignée d’autres jeux furent développés, sur des ordinateurs centraux eux aussi ; quelques clones de Adventure, mais aussi des jeux de plus en plus originaux, même s’ils tendaient à rester dans le genre « exploration de donjon/grotte » : Zork, développé au MIT en 1979, mais aussi des jeux Phoenix à l’université de Cambridge, et un jeu en suédois, Stuga, qui sortit vers 1978. La création de tels jeux à l’université de Cambridge ne se fit pas de façon indépendante : il s’agissait d’une des rares institutions à bénéficier d’une communication à l’ARPANET, et donc Adventure et Zork atteignirent l’université au bout d’un moment, générant un intérêt soudain pour le genre [20]. Adventure eut donc une influence majeure, créant par sa simple existence un nouveau genre de jeu vidéo et généra tant d’intérêt pour ce genre qu’il poussa certains joueurs à vouloir créer leurs propres jeux qui lui ressemblaient.
S’est-il passé la même chose en France ? On ne connaît pas la réponse à la question de façon certaine, mais elle est probablement négative. Il est difficile de trouver des informations sur l’utilisation des ordinateurs centraux en France pendant la période « fin des années 1970 -- début des années 1980 » ; au contraire de la communauté anglophone, la communauté francophone de fiction interactive ne compte pas parmi ses membres d’anciens utilisateurs de tels ordinateurs qui pourraient nous renseigner sur ce point. Cependant, il y a quelques arguments qui laissent penser que Adventure n’a jamais été importé en France. Premièrement, on n’a jamais trouvé de traces d’une éventuelle aventure textuelle en français jouable sur ces ordinateurs centraux (et si Adventure était si intéressant et prenant, et donnait autant d’envies de création aux joueurs, il est très probable que quelqu’un en France aurait écrit un tel jeu). De plus, il est peu probable qu’un ordinateur en France ait jamais été connecté à l’ARPANET : ce réseau était un réseau américain, et les seules connexions (à ma connaissance) à l’ARPANET à l’international étaient en Norvège et au Royaume-Uni ; de plus, après l’envoi d’une délégation française à BBN en 1970, la France devint de plus en plus intéressée dans les réseaux informatiques, et commença à partir de 1972 à essayer de créer son propre réseau, CYCLADES. Un autre réseau, Transpac, fut aussi développé par le Ministère des Communications français, et finalement le projet CYCLADES fut abandonné en 1978 au profit de Transpac (qui fut le réseau utilisé quelques années plus tard par le Minitel, qui devint très utilisé en France dans les années 1980). De fait, il est peu probable que la France ait jamais demandé une connexion à ARPANET, puisqu’elle était en train d’essayer de créer son propre réseau ; ainsi on peut supposer sans prendre trop de risques que Adventure et Zork n’ont jamais traversé la Manche. Mais même si ces jeux n’étaient pas connus en France, il reste toujours la possibilité que quelqu’un aurait pu avoir l’idée d’un tel jeu indépendamment et créer l’équivalent français de Adventure ; cependant, il semblerait que ce ne soit pas le cas.
Et les jeux Infocom, et plus généralement les fictions interactives anglophones ? La réponse à cette question n’est pas évidente ; trouver des informations à ce sujet est quelque peu difficile. Cependant, on peut dire avec quasi-certitude que les jeux d’Infocom n’étaient pas ou que peu connus, et leur influence sur le genre fut moindre ; le gamer moyen des années 1980 fera certainement plus référence à des jeux français qu’à des jeux d’Infocom. Il y a plusieurs questions à envisager ici : ces jeux eurent-ils une influence sur les développeurs et créateurs de jeux, furent-ils bien reçus par la critique, et eurent ils un succès commercial ?
Le fait est que trouver des informations sur des sorties de jeux d’Infocom (ou plus généralement des jeux en anglais) en France est difficile, et c’est certainement une question qui mérite une exploration plus poussée. J’ai pensé pendant un certain temps -- peut-être simplement une opinion préconçue, mais probablement aussi en voyant que les nostalgiques de cette époque n’évoquaient jamais de jeux Infocom quand ils parlaient des jeux auxquels ils avaient joués dans les années 1980, ou même ne connaissaient pas ces jeux -- que les jeux d’Infocom n’étaient jamais sortis en France, ou s’ils l’avaient été, ce fut en tant que « jeux en import » qui étaient donc vendus plutôt cher [21], et donc touchaient un public limité. En fait, ça n’est pas vrai : les jeux d’Infocom, ainsi que d’autres fictions interactives anglaises ou américaines, ont bien été vendus en France, parfois à un prix abordable, et certains magazines publièrent même des critiques de ces jeux. On notera que ces jeux ne furent pas traduits et furent donc vendus en anglais, ce qui a pu contribuer à leur relatif insuccès ou faible influence sur le genre. Selon un gamer nostalgique du CPC, les jeux en anglais enregistrèrent une baisse de popularité avec le boom de l’industrie française du jeu vidéo vers la fin 1984.
Commençons par les jeux d’Infocom. En lisant des vieux numéros de magazines de jeux vidéo des années 1980, j’ai pu compiler [22] un certain nombre d’informations et de références à propos de la sortie des jeux d’Infocom. La plus vieille référence à un jeu d’Infocom que j’ai pu trouver se trouve dans le numéro de décembre 1983 de Micro 7 ; il est mentionné dans le test du Manoir du Docteur Génius [23] que « bien sûr le micro n’a pas la richesse de syntaxe des jeux d’Infocom, mais il cause français » [24], ce qui voudrait dire que quelques jeux d’Infocom étaient disponibles en France à cette époque.
La référence la plus importante à un jeu Infocom que j’aie pu trouver est dans le numéro d’avril 1984 de SVM : le « jeu du mois » est Infidel ! La critique du magazine s’étend sur deux pages [25] : elle évoque l’histoire du jeu et les « feelies » [26], louange l’analyseur syntaxique pour sa reconnaissance d’un grand nombre de mots et de phrases, et mentionne la présence d’un mode verbeux et d’un mode super-bref. Il y a plusieurs choses qu’il faut mentionner à propos de cet article qui donnent des indices à propos du statut des jeux d’Infocom en France à l’époque. [27] Premièrement, Infocom est présenté comme « les créateurs du célèbre Zork », ce qui, en plus de la référence relevée dans le paragraphe précédent, laisserait à penser que Zork était sorti en France à l’époque. On peut aussi trouver des informations sur la sortie du jeu : le distributeur en France est SIDEG [28], le jeu était disponible sur Apple //e (l’article mentionne que « les versions IBM-PC et Commodore 64 sont attendues sous peu), et coûtait 695FF [29].
Cependant, même si certains magazines écrivaient de temps à autres des articles sur les jeux d’Infocom, offrant parfois des critiques de tels jeux, ils n’étaient semblent-ils pas assez connus pour être restés dans la mémoire collective des joueurs français de l’époque comme des classiques auxquels on compare les autres jeux d’aventure. On peut rapprocher cette remarque de celle faite un peu plus haut : après le boom des micro-ordinateurs et des jeux vidéo en France en 1984, beaucoup de jeux français furent commercialisés, et les jeux en anglais devinrent moins répandus. Cependant, il y a tout de même quelques références à des jeux d’Infocom dans plusieurs magazines. Par exemple, Tilt mentionne dans son numéro de janvier 1985 le « bon jeu de détective » Witness [30]. En avril 1985, dans un article de SVM consacré aux aventures textuelles [31], on parle d’Infocom et mentionne les jeux comme « pourvus de bons scénarios » et que « toute phrase correctement construite entraîne une réponse cohérente du programme » [32] ; l’article mentionne les jeux disponibles en France à l’époque [33] : Zork, Infidel, Deadline et Sorcerer, disponibles sur Apple //, IBM-PC et Commodore 64.[34]
La sortie de l’Atari ST et sa popularité grandissante fut apparemment l’occasion pour Infocom de sortir une grande partie de ses jeux en Europe. Le premier numéro (septembre 1985) de ST Magazine fait une liste de tous les programmes disponibles sur cette machine ; la catégorie « aventure en mode texte » (sous-entendu : sans graphismes) est presque entièrement constituée de jeux d’Infocom : Zork (les trois épisodes), Wishbringer, et The Hitchhiker’s Guide to Galaxy sont listés comme étant disponibles, et tous les autres jeux d’Infocom [35] sont listés comme étant « disponibles en octobre » [36]. On peut relever une autre référence dans le numéro de Décembre 1985 de ST Magazine, qui mentionne exactement la même chose : « Tous les jeux d’Infocom sont disponibles pour le ST. Très bien placés dans tous les hit parades aux Etats-Unis, ils nécessitent une grande connaissance de la langue anglaise pour pouvoir être appréciés. » [37] Quelques années plus tard, en décembre 1987, le magazine Atari 1ST fait une nouvelle fois la liste des jeux Infocom [38] qui sont disponibles sur le ST ; on note que dans cette liste, une poignée de jeux manque à l’appel, comme Hollywood Hijinx, Trinity et Bureaucracy [39] : il est possible que ces jeux ne soient jamais sortis en France, pour une raison inconnue [40]. Malheureusement, aucune information sur le prix de vente n’est indiquée dans ces listes. Dans quelques autres magazines, il y avait parfois des critiques de jeux d’Infocom ; cependant, notons que la majorité de ces quelques critiques furent écrites après 1987 et que, comme nous le verrons plus tard, les jeux d’aventure avec analyseur syntaxique étaient sur le déclin à l’époque.
Pour résumer, voici tout ce que nous avons été capables de trouver à propos des jeux Infocom dans des anciens numéros de magazines de jeu vidéo. Il semblerait que les jeux furent commercialisés dans un premier temps sur Apple //, IBM-PC et Commodore 64 ; puis, les jeux sortirent sur l’Atari ST plus systématiquement. On dirait bien que les jeux d’Infocom n’eurent pas un grand succès en France [41] ; les raisons possibles pourraient être le prix de vente trop élevé (dans un premier temps, en tout cas -- les jeux Infocom pour le ST n’étaient pas aussi chers, avec un prix sans doute tournant autour de 200FF) et le choix de consoles pas forcément optimal, [42] mais la raison principale doit certainement être que ces jeux étaient composés uniquement de texte en anglais.
Parlons maintenant d’autres jeux en anglais. Il semblerait que d’autres jeux en anglais sortirent en France dans les années 1980, et certains d’entre eux eurent plus de succès que les jeux d’Infocom. [43]
Pour commencer, quelques jeux Scott Adams furent distribués en France, et eurent un petit succès. Les versions des jeux qui furent distribuées étaient les versions avec graphismes dont l’éditeur était Adventure International. On peut trouver une courte notice sur Saga 1: Adventureland dans le numéro d’avril 1984 de Micro 7, qui précise que « les jeux d’aventure graphique de Scott Adams servent souvent de référence » et que « les trois suivants sont maintenant disponibles » ; ces jeux sortirent sur le ZX Spectrum et le Commodore 64, et le prix de vente tournait autour des 200FF (ce qui n’est pas très cher). [44] Le numéro de janvier 1985 de Tilt (où se trouvent beaucoup de tests de jeux d’aventure) mentionne The Hulk (pour Commodore 64 et Atari 800 ; une publicité sur la page suivante donne 185FF pour le prix de vente [45]) et Voodoo Castle (pour Apple //). [46] La dernière référence à ces jeux que l’on put trouver fut dans le numéro de décembre 1987 de ST Magazine, où les jeux Questprobe 2: Spiderman et Questprobe 3: The Fantastic Four Part I sont listés. [47]
Un ou deux jeux en anglais eurent de bonnes critiques dans la presse de jeu vidéo française et eurent semble-t-il du succès. Premièrement, The Hobbit, pour Spectrum 48K et Commodore 64 (et plus tard, de manière intéressante, pour Oric Atmos), eut une très bonne critique qui lui fut consacrée dans le numéro de mars 1984 de Micro 7, [48] ainsi qu’une autre dans Tilt en janvier 1985. [49] Ensuite, The Pawn eut de très bonnes critiques dans les magazines Atari ST [50] [51] ; en fait, il semblerait que la majeure partie des jeux de Magnetic Scrolls eurent un grand succès critique, remportant deux « Tilts d’Or » [52] dans la décennie 1980.
Mystery House était aussi distribué en France avant 1982 sur Apple //, et fut peut-être la première aventure textuelle en anglais à sortir en France -- on sait que ce jeu sortit en France avant 1982 car il joua un rôle important dans la création de la première fiction interactive française, comme nous le verrons un peu plus tard. On peut aussi citer Masquerade sur Apple // (quelques jeux d’aventure français sortis sur Apple // furent comparés à ce jeu dans une critique), des jeux édités par Legend Entertainment comme Frederik Pohl’s Gateway et Eric the Unready, ainsi que des jeux édités par Interceptor Micro comme Forest at World’s End et Jewels of Babylon [53] -- ce dernier ayant même été traduit en français un peu plus tard, ce qui est assez rare pour être signalé. [54]
En fin de compte, pourquoi certains des jeux anglais parmi les plus vendus et les plus remarqués n’eurent pas eu autant de succès en France dans les années 1980 ? La réponse semble être simple : il s’agit une fois encore de la barrière de la langue. Ces jeux peuvent très bien avoir eu beaucoup d’influence dans les pays anglophones, ils n’ont jamais été traduits en français, et puisque la France n’est pas franchement un pays où l’anglais est une langue que beaucoup de gens parlent, [55] les jeux en anglais eurent un public potentiel plus limité, et de fait ne se vendirent pas aussi bien et n’eurent pas autant d’influence. Notons que les jeux en anglais furent importés et vendus en France principalement avant 1984 ; les jeux en anglais étaient achetés par les joueurs français parce qu’il n’y avait pas beaucoup de jeux en français à l’époque, mais dès que plus de jeux en français firent leur apparition sur le marché (après le boom de l’industrie du jeu vidéo en France en 1984), on dirait que peu de gens jouèrent encore à des jeux en anglais.
Mais pour autant, peut-on dire que si les jeux d’Infocom avaient été traduits en français, ils auraient eu plus de succès ? Il est difficile de le dire, bien entendu. On pourrait imaginer qu’avec une telle traduction de ces jeux, et en voyant la qualité des jeux d’Infocom, plus de joueurs y auraient joué dans les premières années de la décennie, [56] ce qui aurait pu mener à une consolidation du genre sans graphismes qui aurait ainsi pu rivaliser avec sa contrepartie avec graphismes. Cependant, il apparaît que les joueurs français à l’époque tenaient beaucoup à leurs aventures avec graphismes (faute d’un mot plus fort) et regardaient de haut les aventures en mode texte uniquement. Par exemple, dans le numéro de janvier 1985 de Tilt, un court encadré intitulé « Une dimension de moins » évoque quelques-unes de ces aventures en mode texte uniquement, et pense que les jeux d’aventure avec des graphismes sont supérieurs car ils « dispensent le joueur d’un réel effort de représentation des lieux visités », et l’excuse de la mémoire ne tient plus quand on voit les modèles récents de micros. [57] Le numéro d’avril 1985 de SVM est plus sévère, puisqu’on trouve dans un article consacré aux jeux d’aventure les phrases lapidaires suivantes : [58] « Mentionnons aussi la sinistre engeance, heureusement en voie d’extinction, des logiciels qui ignorent tout graphique. Notamment la série d’Infocom [sic] (comme Infidel) et se croient quittes en compensant par un analyseur de syntaxe, remarquable au demeurant, et un vocabulaire très étendu. C’est un peu court, jeune homme ! ». Dans le premier numéro de Génération 4, fin 1987, on peut lire : « les scénarios et la qualité de ces aventures font qu’elles comptent parmi les plus vendues aux Etats-Unis. En France, il en va tout autrement puisque l’on considère qu’un jeu en anglais sans graphisme n’est pas un vrai jeu. » Mais les joueurs français tenaient-ils à leurs graphismes juste parce qu’ils s’y étaient habitués, ou est-ce une raison plus profonde ? [59] La question mérite d’être posée.
Et de fait, on pourrait même penser qu’en un sens, les jeux d’Infocom eurent une certaine influence sur le marché. Les jeux d’Infocom étant uniquement en mode texte, il fallait être capable de lire l’anglais couramment pour apprécier le jeu, alors qu’avec une aventure avec graphismes, on pouvait comprendre la structure du monde du jeu avec moins de difficultés ou d’efforts, et le joueur français pouvait avancer dans le jeu avec quelques rudiments d’anglais (les verbes d’action classiques des jeux d’aventure, par exemple) ou un bon dictionnaire à côté de lui. Ainsi, les joueurs français avaient moins de difficultés à jouer à des jeux d’aventure en anglais ; de fait, avant que les jeux d’aventure en français commencent à sortir en masse, le joueur français moyen était plus capable de jouer à des aventures avec graphismes, et sans doute ces aventures eurent plus de succès que si elles avaient été en mode texte seulement. Il paraîtrait alors assez logique que les premiers jeux d’aventure qui sortirent en français avaient des graphismes, puisque le genre du jeu d’aventure avec graphismes était devenu la référence d’une majorité de joueurs français (et peut-être même d’auteurs) ; cette vision aurait perduré pendant toutes les années 1980, et bientôt les joueurs français en étaient à se demander pourquoi ils devraient s’intéresser à des aventures sans graphismes, estimant qu’il manquait une dimension à ces aventures. Cette théorie (non vérifiée) expliquerait le marché des jeux d’aventure en France dans les années 1980 : le fait que les jeux d’Infocom ne furent jamais traduits en français peut avoir eu une influence indirecte sur les joueurs dans les années 1980, les faisant se détourner des aventures sans graphismes, ce qui orienta le genre du jeu d’aventure français vers une toute autre direction pendant toute la décennie.
Nous venons de traiter le cas des jeux anglophones en France, montrant que même les jeux qui eurent beaucoup d’influence (qui forment, dans la version à biais anglophone de l’Histoire de la fiction interactive, le canon du genre) n’eurent pas de succès en France dans les années 1980. Attachons-nous maintenant aux jeux en français dans cette même période ; tout commence à l’été 1982, pendant des vacances dans le sud de la France.
En 1982, Jean-Louis Le Breton avait 30 ans et vivait à Paris ; il jouait dans un groupe qui s’appelait « Los Gonococcos », avec Yves Frémion [60] et Jean Bonnefoy. Le groupe se dissout, et il vendit ses claviers dans un magasin de Paris ; dans le magasin d’à côté, quelqu’un vendait son Apple //+, et Le Breton l’acheta parce que, dans ses propres mots, « c’était le premier micro-ordinateur vraiment bien qui arrivait en France et ça [le] titillait de savoir comment ça marchait » [61]. Il n’acheta qu’un seul jeu avec l’ordinateur : Mystery House, de Ken et Roberta Williams.
Alors que l’été approchait, il partit en vacances dans le Gers avec l’Apple // dans le coffre de sa voiture. Il joua à Mystery House, et le jeu lui plut -- précisons qu’il a déclaré qu’il n’aimait pas les jeux vidéo auparavant : certes, le fait qu’on puisse bouger son personnage où on voulait était intéressant, mais il y avait trop de combats à son goût. [62] Cependant, il pensait qu’à en juger de la qualité des graphismes et du scénario, il pourrait facilement faire aussi bien en français. [63] Il se mit à apprendre le BASIC en un mois et programma ce qui devait être le premier jeu d’aventure en mode texte en français : Le Vampire Fou. C’était un jeu plutôt simple, où le but était d’entrer dans le château du Vampire pour le tuer avant qu’il ne vous tue. Le Breton réécrit le jeu peu de temps après l’avoir fini et le fit sortir en 1983. Mais son éditeur, Ciel Bleu (dont le fonds de commerce était de vendre en France des programmes importés du Canada), mit la clef sous la porte peu de temps après la sortie du jeu. De plus, tout ceci se passait avant la sortie des ordinateurs Apple qui eurent vraiment du succès en France (l’Apple //e et l’Apple //c) ; même si quelques magazines relevèrent son statut de la première fiction interactive en français, [64] il est très improbable que le jeu eut plus de succès que d’autres à l’époque, et donc la sortie du jeu n’est pas franchement un tournant qui changea la situation du jour au lendemain.
Ce récit de l’histoire de la première fiction interactive française fait apparaître plusieurs éléments intéressants. Premièrement, on note que la date de création du jeu est l’été 1982, et la date de sortie est 1983 ; à cette date, Infocom avait déjà quelques années d’existence, avait déjà créé la célèbre trilogie des Zork qui transforma le genre et rencontra un grand succès, ainsi que Deadline et Starcross, et avait sorti pas moins de cinq jeux en 1983 ; Scott Adams, quant à lui, avait déjà créé un certain nombre de jeux pour les micro-ordinateurs : la fiction interactive était déjà un genre en pleine croissance dans les pays anglophones au moment où une poignée de joueurs français découvraient Le Vampire Fou -- qui n’était pas, loin s’en faut, un jeu complexe ou littéraire. Nous notons de plus que Le Breton fut inspiré par Mystery House pour créer ce premier jeu : Mystery House n’est pas une fiction interactive à proprement parler, mais plus un jeu d’aventure avec des graphismes et un analyseur syntaxique. Le Vampire Fou n’est pas véritablement une fiction interactive, mais c’est le premier jeu d’aventure avec un analyseur syntaxique -- ce fait est intéressant, et nous en reparlerons plus tard.
Le Breton rencontra alors Fabrice Gille, le fils d’une de ses amies, qui avait alors 18 ans et venait d’acquérir un Apple //e. Le Breton donna à Gille une copie de son jeu, qui était censé être protégé contre la copie ; Gille cracka la protection (dans le langage de l’époque, on parlait de « déplombage » de disquettes) en un rien de temps, ce qui impressionna Le Breton, et lui donna envie de travailler avec lui. [65] Les deux programmeurs fondèrent alors Froggy Software en vue de publier le jeu suivant imaginé par Le Breton : Paranoïak ; Gille programma le jeu et la protection anti-copie du programme. Paranoïak était donc le premier jeu édité par Froggy Software, et gagna la Pomme d’Or 1984. [66]
Froggy Software poursuivit ses activités et publia une douzaine de jeux pour l’Apple // avant de fermer ses portes en 1987 ; la principale raison de cette fermeture, était que les jeux étaient en train de devenir obsolètes à cause du succès croissant du Macintosh. Leurs jeux, principalement écrits ou codés par Le Breton, avaient un ton caractéristique : ils n’étaient en aucun cas des jeux sérieux (selon les termes de Le Breton, « aventure, humour, décalage et déconnade » était le credo de l’équipe [67]), et avaient des thèmes très différents de la production anglophone plutôt tournée vers la fantasy et la science-fiction : les thèmes traités étaient plutôt souvent liés à la politique, par exemple. Les jeux furent très bien reçus par la critique dans les magazines, ce qui amena Tilt à appeler Le Breton « le Alfred Hitchcock du jeu vidéo ». [68]
Paranoïak était le premier succès de Froggy Software ; dans le jeu, le joueur est aux prises avec une maladie mentale, le tout traité sur le ton humoristique. Puis sortit Le crime du parking, en 1984 également, qui eut un succès encore plus grand ; le joueur devait résoudre le mystère du crime d’Odile Conchoux, trouvée dès les premiers instants du jeu étranglée dans un parking, et le jeu abordait (plus sérieusement, mais avec quelques traits d’humour de temps à autres) les sujets du viol, de l’homosexualité et de la dépendance à la drogue. [69] Même les pommes de terre ont des yeux, paru en 1985, eut aussi un grand succès : il se déroulait dans une dictature sud-américaine où les espions étaient partout (d’où la références aux pommes de terre qui peuvent vous surveiller), et le ton du jeu est très humoristique. [70]
Mais, en fin de compte, à quoi donc ressemblaient ces jeux ? Premièrement, leur analyseur syntaxique était plutôt primitif -- il pouvait simplement reconnaître les commandes de deux mots, mais le nombre de mots reconnus était plutôt important ; de plus, la qualité de l’analyseur syntaxique ne fluctuait pas d’un jeu à l’autre, ce qu’il faut tout de même noter : Infocom (et d’autres) eurent la bonne idée de construire leur analyseur syntaxique dans un interpréteur qui pourrait être utilisé dans chacun de leurs jeux, mais ce n’était pas le cas pour beaucoup de compagnies de jeu vidéo françaises, ce qui entraînait une fluctuation dans la qualité de cet analyseur syntaxique. Deuxièmement, Froggy Software était le premier développeur à inclure des réponses humoristiques à certaines commandes ; bien sûr, ceci allait de pair avec le ton généralement humoristique des jeux, mais ce furent les premiers à inclure des réponses par défaut de nature humoristique, ainsi qu’à reconnaître les mots grossiers et insultes tapés par le joueur (et y répondre). Ensuite, on note que tous les jeux avaient des graphismes ; en fait, la majeure partie de l’écran (les trois premiers quarts horizontaux de l’écran) consistait en une image du lieu où se trouve le joueur et les objets disponibles. En conséquence, les descriptions étaient courtes et peu détaillées, et les graphismes étaient nécessaires pour progresser dans le jeu (même si l’on pouvait les désactiver à n’importe quel moment). La seule exception à cette description est le jeu La femme qui ne supportait pas les ordinateurs, écrit par Chine Lanzmann et programmé par Jean-Louis Le Breton, qui sortit en 1986 ; ce jeu vous mettait aux prises avec votre ordinateur, qui alterne avec vous le flirt grossier et les menaces de mort, et vos aventures sur le réseau Calvados (un réseau français sur l’Apple // que les gens, dont les créateurs du jeu, utilisaient comme salles de chat), et avait sept fins différentes, que vous deviez toutes atteindre successivement pour terminer le jeu. Le jeu était en mode texte seulement, et l’analyseur de syntaxe était plutôt primitif puisqu’il ne consistait que de réponses Oui/Non.[71]
Ainsi donc, nous avons vu que tous les jeux Froggy Software avaient des graphismes et des descriptions qui tenaient sur deux lignes. [72] Mais c’est en fait plus général, comme nous l’avons brièvement évoqué dans la section précédente, et la plupart des fictions interactives en français qui sortirent dans les années 1980 faisaient jouer aux graphismes un rôle important. En fait, on pourrait dire que le genre de la fiction interactive n’existait pas en France dans les années 1980. La fiction interactive telle qu’on la connaît maintenant -- que l’on pourrait qualifier de fiction interactive « à la Infocom », ou de fiction interactive « littéraire » -- n’existait pas : seule une poignée de jeux étaient en mode texte seulement, et quasiment aucun des autres n’avaient pour but d’offrir une quelconque qualité littéraire dans les textes. Le terme « fiction interactive » ne fut jamais utilisé dans les années 1980 par une compagnie ou un critique de jeu vidéo (du moins, pas à ma connaissance [73]) : les termes utilisés étaient plutôt « jeux d’aventure », « jeux de rôle », et, lorsque le genre des jeux d’aventure en point-and-click commença à émerger, « aventures en mode texte ». Les descriptions des scènes et objets étaient au mieux peu détaillées, et les graphismes prenaient la majeure partie de l’écran (nous en reparlerons un peu plus tard). Et même si une poignée de fictions interactives en anglais furent traduites en français à l’époque (par exemple, certains jeux édités à l’origine par Interceptor Micro), aucun jeu d’Infocom ne fut jamais traduit en français ; les créateurs de jeux en France n’avaient donc pas de modèle ou d’exemple de fiction interactive dont la prose fût un peu plus recherchée, un peu plus littéraire, sur lequel s’appuyer et qui aurait pu leur donner des idées différentes sur le genre.
Dans ce qui suit, nous continuerons à faire référence à ces jeux en utilisant le terme de « fictions interactives », mais aussi « jeux d’aventure en mode texte » ou simplement « jeux d’aventure » ; la raison pour cela est que, parmi les jeux qui parurent en France, ils sont ce qui se rapproche le plus de la fiction interactive, en ce sens qu’ils avaient un analyseur syntaxique qui analysait des commandes tapées au clavier, et que certains d’entre eux n’avaient pas de graphismes.
Froggy Software n’était pas le seul éditeur de jeux d’aventure en mode texte qui eut du succès à l’époque ; autour de 1984, quelques autres éditeurs français de jeux vidéo eurent un succès comparable, et même parfois plus important, en publiant des jeux écrits en français. Il y en eut un certain nombre ; on peut citer par exemple Titus, Lankhor, CobraSoft, Excalibur et même Infogrames, mais nous nous concentrerons dans cette section à deux éditeurs : Loriciels et ERE Informatique.
Loriciels était un éditeur fondé en 1983 par Marc Bayle et Laurant Weill ; le nom est un jeu de mots entre « logiciel » et « Oric », car à leurs débuts leur principale activité était l’édition de jeux pour les micros Oric. Ils ne s’en tinrent pas qu’à l’Oric, et étendirent leurs activités au ZX Spectrum (souvent en sortant des adaptations de leurs jeux Oric à succès), puis à l’Amstrad CPC, et ensuite à l’Atari ST et l’Amiga. Le premier grand succès de cet éditeur fut avec un jeu d’aventure sans analyseur syntaxique, L’aigle d’or [74], en 1985, pour lequel ils remportèrent le « Tilt d’Or » ; [75] ils en remportèrent un autre pour l’aventure graphique avec analyseur syntaxique Le mystère de Kikekankoi. Ils furent parmi les éditeurs français de jeux vidéo les plus importants, avec à leur actif environ 150 jeux en dix ans ; [76] cependant, une série de problèmes financiers poussa la compagnie à mettre la clef sous la porte en 1993.
La première aventure textuelle qui fut éditée par Loriciels fut Le manoir du Docteur Génius, sorti sur l’Oric en 1983. Le jeu ne fut pas vraiment un succès ; il s’agissait d’un jeu d’aventure court, dans lequel vous deviez vous échapper d’un manoir parsemé de pièges, mais même si un certain humour était parfois présent, cela ne suffisait pas selon les critiques à compenser le manque d’une atmosphère particulière et le manque de surprises. [77] Les graphismes étaient juste des lignes de couleur dessinées sur l’écran, à la Mystery House ; l’analyseur syntaxique pouvait reconnaître un grand nombre d’actions, mais n’analysait que les quatre premières lettres. Ce jeu eut une suite, Le retour du Docteur Génius, sortie en 1985 sur l’Oric également.
Un des plus grands succès de Loriciels dans le genre de l’aventure textuelle fut Le mystère de Kikekankoi, sorti en 1983 sur l’Oric, puis en 1985 sur le CPC (cette version bénéficiait notamment de bien meilleurs graphismes). Dans ce cas aussi il s’agit d’une aventure textuelle avec des graphismes qui rappellent Mystery House (pour la version de 1983). Vous trouviez un message dans une bouteille, placé là par une femme emprisonnée par un scientifique fou ; vous devez la sauver, et pour cela explorer la ville de Kikekankoi et la caverne qui réside juste à côté. Le jeu est « chronométré » -- vous avez 500 tours pour sauver la prisonnière -- et les morts instantanées (en un tour) sont nombreuses ; l’analyseur syntaxique reconnaît environ 50 verbes et 100 noms (une liste des mots reconnus est fournie au début du jeu). Le jeu eut un bon succès au moment de sa sortie, et on peut lire dans un numéro de Tilt datant de deux ans après la sortie du jeu « peut encore tout à fait enthousiasmer les amateurs » ; [78] il s’agit probablement d’un des jeux d’aventure les plus célèbres de la période.
Le diamant de l’île maudite eut aussi un beau succès lors de sa sortie ; sorti en 1984 sur les Oric et en 1985 sur l’Amstrad CPC, il vous fallait explorer une île pour tenter de découvrir un diamant qui se trouvait dans des caves souterraines. Par rapport à ceux de Le mystère de Kikekankoi, les graphismes ont été notablement améliorés ; à l’écran on peut voir une image représentant le lieu où se trouve le joueur, un bandeau sur le côté indiquant par exemple le nombre de vies, et l’analyseur syntaxique est en dessous de l’image, posant en permanence la question « Que faites-vous ». De plus, le jeu a une grande durée de vie : pour la première fois dans l’histoire du genre, il est possible que le jeu ne soit pas l’oeuvre d’un, mais de deux programmeurs. Les améliorations apportées par l’analyseur syntaxique furent salués par la critique : le vocabulaire reconnu par le jeu était de bonne taille, mais ce qui plut par-dessus tout aux critiques était l’auto-complétion dès la troisième ou quatrième lettre, et les mots non reconnus étaient effacés avec un bip de la machine ; il était aussi possible d’entrer plusieurs commandes à la fois en les séparant d’un slash. Le jeu eut un très grand succès, et est aussi l’un des plus célèbres de l’époque.
D’autres jeux d’aventure en mode texte édités par Loriciels qui eurent un petit succès étaient Citadelle (un jeu de rôle en mode texte uniquement avec un analyseur syntaxique qui reconnaissait 260 mots), Tony Truand (un jeu avec une histoire complexe et plus de 120 lieux), Le Pacte (jeu créé par Eric Chahi, qui créa quelques années plus tard le classique Another World), Han d’Islande (adaptation d’un roman de Victor Hugo, avec des graphismes mais une prose bien plus longue et importante que pour d’autres jeux), et Orphée (avec des graphismes, un bandeau sur le côté qui indiquait les personnages avec qui on pouvait interagir et l’inventaire du joueur, et la ligne de commandes au-dessus de l’image centrale ; le jeu était très beau mais très dur).
Quant à ERE Informatique, la compagnie fut créée en 1981 (ce qui en fait l’une des plus anciennes compagnies françaises de jeu vidéo) par Philippe Ulrich et Emmanuel Viau. Cet éditeur sortit beaucoup de jeux dans des genres très différents, mais leurs plus grand succès furent des aventures textuelles ; tous leurs jeux sortirent uniquement sur l’Amstrad CPC. Ils furent rachetés par Infogrames en 1986, leur permettant de se concentrer plus sur l’aspect technique et le développement du jeu en se déchargeant des aspect commerciaux et marketing. Cependant, des problèmes financiers et des problèmes de royalties avec Infogrames entraîna la fermeture du studio quelques années plus tard, en 1989, et la plupart des développeurs partirent pour fonder leurs propres studios.
Un des jeux les plus célèbres de ERE Informatique fut SRAM, suivi dans la même année (1986) de SRAM II. Dans ces jeux, qui furent salués par la critique, le joueur est sur une planète étrange, [79] et un grand changement politique survient ; un ermite et une sorcière vous appellent à l’aide pour que vous fassiez monter Egres IV sur le trône. Dans le deuxième jeu, Egres IV est devenu un tyran assoiffé de sang, et il faut cette fois-ci le détrôner ! Le ton du jeu est résolument humoristique, même si l’humour présent dans le jeu est beaucoup plus subtil que dans d’autres jeux de l’époque ; le monde dans lequel le jeu se déroule est à tendance médiévale, avec des anachronismes -- il y a des extincteurs, par exemple -- et des éléments empruntés à d’autres genres, qui forment un monde incohérent et décalé. Les graphismes du jeu furent salués par la critique, et étaient ce qui pouvait se faire de mieux à l’époque de la sortie du jeu. Le jeu en lui-même demanda beaucoup de travail de ses trois auteurs, Serge Hauduc, Ludovis Hauduc et Jacques Hemonic : le premier jeu fut conçu en six mois (et le deuxième en trois) ; cependant, ces deux jeux sont plutôt courts. Ces jeux se vendirent très bien et furent un des grands succès d’ERE Informatique.
Un autre jeu célèbre est Le passager du temps, qui sortit en 1986. Ce jeu fut un autre grand succès pour ERE Informatique : à partir d’une histoire simple mais bien écrite (votre oncle a disparu, et vous partez à sa recherche, voyageant dans le temps), le jeu réussit à rester long et difficile tout du long ; les graphismes étaient de très bonne qualité, mais ce qui fut le plus apprécié (et dont les joueurs se rappellent encore) est votre compagnon d’aventure, un chat, qui apparaît dans le bandeau à droite de l’écran et commente l’action d’un ton humoristique.
Le jeu d’ERE Informatique qui fut le plus salué par la critique est sans doute L’arche du Capitaine Blood, sorti en 1987 ; il se vendit bien en France, ainsi que dans beaucoup d’autres pays. [80] Bien que ce ne soit pas une fiction interactive, il est intéressant d’évoquer son système de conversation : le jeu avait 120 icônes que vous pouviez combiner pour former des phrases et communiquer avec les extraterrestres que vous rencontriez dans le jeu ; ce système demanda beaucoup de travail de son créateur, Philippe Ulrich, qui eut apparemment à écrire des dizaines de pages de dialogue avec les extraterrestres. Ce système de conversation était nouveau et original, et ne fut pas vraiment émulé par la suite ; il fut salué par la critique, de même que les graphismes et le son ; l’histoire, quant à elle, était une histoire plutôt complexe de science-fiction impliquant des clones et des extraterrestres. Notons qu’il s’agit là d’un des premiers jeux en point-and-click qui eut du succès, un précurseur de ce genre qui allait atteindre son âge d’or quelques années plus tard et entraîner une désaffection des joueurs de la fiction interactive.
D’autres fictions interactives éditées par ERE Informatique sont Oxphar (adapté d’une pièce de théâtre qui se déroulait dans un monde médiéval/fantasy ; les critiques apprécièrent les graphismes, ainsi que la finesse d’esprit et la poésie qui pouvait ressortir des textes du jeu ; l’analyseur syntaxique était simple et reconnaissait des commandes de deux mots, mais il pouvait apprendre des nouveaux synonymes de verbes), Harry & Harry, Crash Garrett (un jeu humoristique et presque parodique sur des agents nazis en mission secrète aux Etats-Unis dans les années 1930) et 1001 BC.
Comme nous venons de le voir avec l’exemple de ces deux éditeurs -- qui sont sans doute parmi les plus gros éditeurs de jeux d’aventure en France dans les années 1980 -- le genre de la fiction interactive n’était pas vraiment courant ; les jeux étaient plus souvent des aventures en mode texte avec des graphismes. Cependant, ils partagent des idées dans la conception et le design d’un jeu avec la fiction interactive « littéraire », en mode texte seulement ; la façon de faire un jeu a évolué tout au long des années 1980, et plusieurs systèmes et concepts dans le design du jeu furent essayés. Dans la section qui suit, nous allons passer en revue le genre de la fiction interactive française de façon plus transversale : plutôt que d’énumérer les jeux en suivant un ordre chronologique, nous allons lister des sujets d’importance que l’on considère en général quand on étudie la conception d’une fiction interactive, et nous tenterons de déterminer les différents choix et solutions qui furent essayés dans des fictions interactives en français dans les années 1980.
Quand on regarde la production de jeux d’aventures en France dans les années 1980, on s’aperçoit qu’elle était importante et diverse : des centaines de jeux sortirent durant cette période, traitant de différents thèmes, sur des tons différents, avec des interfaces différentes, et le genre était très populaire chez les joueurs de l’époque. Faire une liste de tous les jeux publiés pendant cette période serait fastidieux et pas très intéressant ; nous allons plutôt tenter de faire une sorte de chronique du genre dans les années 1980 de façon plus transversale, abordant tous les aspects d’un jeu d’aventure plutôt que les jeux individuellement. En procédant de cette façon, nous pourrons mieux distinguer les évolutions du genre ainsi que les caractéristiques qui lui sont propres.
Le premier point que nous allons traiter est la forme et le type des jeux. Comme nous l’avons dit, la plupart des jeux d’aventure français avec analyseur syntaxique avaient des graphismes, et c’est apparemment ce à quoi les joueurs et les critiques étaient habitués et appréciaient. Les jeux d’aventure en mode texte seulement, spécificité anglophone, n’avaient pas beaucoup de succès, et il s’avère en fait que ces jeux étaient un peu pris de haut par les critiques, qui voyaient les aventures en mode texte seulement comme une antiquité (avant que les aventures avec analyseur syntaxique ne deviennent à leur tour des antiquités à la fin des années 1980). Pour autant, peut-on vraiment dire qu’aucune aventure en mode texte seulement en français n’est jamais sortie ? En réalité, on pourrait dire, presque. En cherchant parmi des dizaines et des dizaines de jeux d’aventure avec analyseur syntaxique qui sortirent dans les années 1980, je ne pus qu’en trouver qu’une poignée en mode texte seulement, ce qui me fait dire que 99,9% des jeux d’aventures français dans les années 1980 avaient des graphismes ; [81] regardons de plus près ces jeux.
Premièrement, il y a le jeu de Froggy Software La femme qui ne supportait pas les ordinateurs, [82] écrit par Chine Lanzmann et programmé par Jean-Louis Le Breton, sorti en 1986. L’histoire est la suivante : votre ordinateur est devenu fou et essaie de vous séduire, puis après des aventures sur le réseau Calvados [83] votre aventure se termine selon l’une des sept fins du jeu, que vous devez toutes explorer pour terminer le jeu. Le jeu est donc en mode texte seulement, mais il s’agit d’un type particulier de fiction interactive : l’analyseur syntaxique ne reconnaît que « Oui » ou « Non », et vous faites avancer l’histoire en répondant aux questions que les personnages vous posent de temps à autres. Cependant, le jeu présente son histoire de façon plutôt astucieuse : le jeu ressemble à une session de chat entre plusieurs personnages, et des messages système s’affichent également à l’écran (du genre « Connexion au serveur... Réussie »), et il n’y a absolument aucune description d’un élément externe ou imaginaire : en fait, on pourrait presque penser que tout cela est vraiment en train de vous arriver ! Les seules choses qui vous rappellent qu’il s’agit d’un jeu sont l’écran titre et l’écran de fin du jeu (les deux seules illustrations du jeu).
Un autre jeu en mode texte seulement est Citadelle, sorti en 1984 chez Loriciels. Il semblerait que ce soit le premier jeu d’aventure en français en mode texte seulement, [84] et il ne semble pas avoir eu un grand succès. [85] Il eut tout de même une bonne critique dans Tilt, [86] où l’article note que le jeu était long et donnait un peu de fil à retordre au joueur aventureux ; le seul point négatif du jeu, selon l’article, est l’absence de graphismes, ce qui en fait rendait les combats ennuyeux (qui pouvaient donc être une succession de « Vous manquez votre attaque. Le gnoll manque son attaque. Vous manquez votre attaque (etc.) »).
Les seuls autres jeux sans graphismes que j’aie pu trouver sont : le jeu de CobraSoft Dossier G : l’affaire du Rainbow Warrior, [87] sorti en 1985, qui semble plus être une « aventure dont vous êtes le héros » (à choix multiples) plutôt qu’une fiction interactive, et n’a apparemment pas de graphismes ; il y eut aussi Mission secrète à Colditz, sorti en 1986 chez Soracom.
Ceci complète la liste des jeux d’aventure en français en mode texte seulement sortis dans les années 1980. Il est intéressant de noter que Citadelle semble être le seul jeu d’aventure en mode texte seulement avec analyseur syntaxique qui sortit en France dans les années 1980, ce qui en ferait peut-être la seule fiction interactive française de cette décennie !
Puisque quasiment tous les jeux d’aventure textuelle en français avaient des graphismes, parlons un peu des différents types de graphismes dans ces jeux d’aventure.
Le premier jeu d’aventure textuelle en français, comme nous l’avons mentionné auparavant, est Le vampire fou par Jean-Louis Le Breton. Le Breton eut l’idée de ce jeu après avoir joué à Mystery House, de Ken et Roberta Williams, sur l’Apple // qu’il venait d’acheter ; en conséquence, les graphismes dans Le vampire fou sont de simples lignes tracées sur l’écran. [88] Ce style de graphismes peut en réalité se retrouver dans une poignée d’autres jeux. Par exemple, Le manoir du Docteur Génius, sorti en 1983 sur l’Oric (et qui fut le premier jeu édité par Loriciels) était dans ce même style ; [89] sa suite, Le retour du Docteur Génius, sortit en 1985 avec des graphismes similaires, mais un peu meilleurs (certaines formes délimitées par les segments sont colorées, et le dessin est simplement mieux fait). Ce style de graphismes, qui est une conséquence des premiers temps et des capacités graphiques limitées des micro-ordinateurs sur lesquels ces jeux sortirent, [90] disparurent bien vite sur les ordinateurs plus performants graphiquement. La seule tentative de revenir à ces graphismes que l’on peut souligner est le jeu Bad Max, [91] sorti sur CPC en 1985 ; l’histoire est très inspirée de Mad Max, la musique du jeu fut composée par The Alan Parsons Project, et les graphismes sont filiaires, avec une caractéristique assez intéressante (et, rétrospectivement, assez drôle) : le jeu est en « Stéréo-3D », c'est-à-dire que tout est dessiné deux fois à l’écran, une fois avec des lignes rouges et une autre fois avec des lignes bleues à quelques pixels d’écart, ce qui était censé créer un effet 3D si l’on portait les lunettes 3D fournies avec le jeu...
Plus tard, les jeux eurent des graphismes plus avancés, mais le design de leur interface resta le même que dans les jeux comme Le vampire fou, et de fait celui des jeux Froggy Software. Dans cette interface, les graphismes sont en haut de l’écran, et les descriptions et la ligne de commande sont dessous. Cette interface peut être vue dans n’importe quel jeu Froggy Software, ainsi que dans des jeux comme Le diamant de l’île maudite (Loriciels, 1985), Atlantis (CobraSoft, 1985), Attentat (Rainbow Productions, 1986), Le pacte (Loriciels, 1986), La cité perdue (Excalibur, 1987), et beaucoup d’autres.
Une autre interface un peu différente fut aussi plutôt répandue ; les graphismes étaient dans un cadre au centre de l’écran, il y avait un bandeau sur la droite, et la ligne de commande était au dessus ou en dessous du cadre de l’image. Même si ce n’était pas une avancée révolutionnaire, cette interface pouvait donner des résultats graphismes assez agréables, et permettait des améliorations qui rendaient la vie plus facile au joueur -- le bandeau sur la droite pouvait servir à fournir des informations comme la liste des sorties, l’inventaire, les objets ou les personnages présents dans la pièce, ou même, comme dans Le passager du temps, un chat qui commenterait l’histoire. Ce genre d’interface fut utilisé dans de nombreux jeux, comme Le mystère de Kikekankoi (Loriciels, 1985, la version CPC), Orphée : Voyage aux Enfers (Loriciels, 1985), Oxphar (ERE Informatique, 1987), Le passager du temps (ERE Informatique, 1987), La Chose de Grotenburg (Ubi Soft, 1988), Excalibur Quest (Excalibur, 1988), et L’île oubliée (Bruno Fonters, 1993).
Comme toujours dans ce genre de jeux, la qualité de l’analyseur syntaxique est cruciale ; il y eut plusieurs systèmes et des améliorations conçues au fil des années.
Concernant Le vampire fou, l’analyseur syntaxique était extrêmement primitif : il ressemble à un simple analyseur syntaxique qui reconnaît les commandes formées de deux mots (et qui ne reconnaîtrait que peu de mots), mais si on ouvre la ROM du jeu avec un éditeur de texte on se rend compte que les actions qu’il faut accomplir pour avancer dans le jeu étaient en réalité codées en dur ! Bien entendu, ça ne fait pas un très bon analyseur syntaxique, et on ne pouvait qu’améliorer ce système.
La majorité des analyseurs syntaxiques à l’époque étaient des systèmes simples qui analysaient et reconnaissaient des commandes simples de deux mots -- parfois en se basant seulement sur les premières lettres du mot. En fait, les critiques de certains jeux (comme une critique de Conspiration de l’an III, sorti chez Ubisoft en 1988) affirment que certains jeux corrigeaient les fautes de frappe, mais il est possible qu’en réalité les analyseurs syntaxiques de ces jeux ne se basaient que sur les premières lettres des mots. Le fait que seules les premières lettres des mots étaient reconnues fut astucieusement dissimulé dans Le diamant de l’île maudite (Loriciels, 1985) : le jeu complétait automatiquement les mots à partir des trois ou quatre premières lettres, et supprimait les mots qu’il ne reconnaissait pas en émettant un bip. Ce fait fut remarqué et apprécié par les critiques [92], et accélérait la saisie des commandes pour le joueur : tout le monde y gagne.
Il est intéressant de noter une différence importante par rapport aux fictions interactives en anglais de la même époque : la fluctuation dans la qualité des analyseurs syntaxiques. La situation typique pour les compagnies qui publiaient des fictions interactives en anglais était qu’un analyseur syntaxique était conçu et amélioré au sein de la compagnie et réutilisé dans chaque jeu créé par la compagnie ; en fait, la plupart du temps, ce n’était pas juste que l’analyseur syntaxique était le même : les jeux étaient créés dans un langage de programmation développé au sein de l’entreprise, et le jeu était ainsi encapsulé dans un interpréteur. [93] De façon surprenante, ce système ne fut pas utilisé par des compagnies françaises ; le seul développeur qui utilisa le même analyseur syntaxique pour plusieurs de ses jeux était Froggy Software -- et c’est probablement parce que Jean-Louis Le Breton s’occupait de la programmation pour la majorité des jeux Froggy Software (et, on peut penser, réutilisait des bouts de code d’un jeu à l’autre). Mais en ce qui concerne d’autres compagnies de l’époque, il semblerait que l’analyseur syntaxique était réécrit à chaque fois, ce qui menait à des analyseurs syntaxiques de qualité variable (par exemple, en 1985, Loriciels sortit Orphée : Descente aux Enfers, qui avait un analyseur syntaxique qui pouvait reconnaître des phrases complètes comme « X, prends la clé à Y », et Le diamant de l’île maudite, qui avait un analyseur syntaxique qui ne reconnaissait que les commandes de deux mots parmi une liste de 90 mots [94]). En conséquence, il n’y eut pas vraiment d’amélioration dans la qualité des analyseurs syntaxiques au fil du temps, ce qui veut dire que même à la fin de la décennie il y eut des jeux vendus par des éditeurs plutôt réputés et qui avaient des analyseurs syntaxiques de très mauvaise qualité -- ainsi le problème de l’analyse des commandes entrées par le joueur ne fut jamais vraiment résolu en France, alors qu’il fut résolu par des compagnies comme Infocom en ce qui concerne des jeux en anglais.
Une particularité des analyseurs syntaxiques des jeux en français de l’époque qu’il faut noter est la reconnaissance des insultes. Les premiers jeux à le faire étaient les jeux Froggy Software (qui avaient en général un ton humoristique) ; lorsque le joueur entrait une insulte, le jeu réagissait de différentes manières : dans Même les pommes de terre ont des yeux, l’image d’un gros homme pas commode s’affichait, et la seule façon de continuer à jouer au jeu était de taper ce qu’il voulait de vous, c'est-à-dire demander « pardon à genoux », alors que dans La femme qui ne supportait pas les ordinateurs, il s’agissait juste d’un « Facile ! ». Un certain nombre de jeux par la suite -- en particulier ceux avec un ton humoristique -- réagissaient également aux insultes du joueur et réagissaient diversement, parfois en insultant aussi le joueur, [95] ou bien de façon plus créative. [96]
En ce qui concerne le ton des jeux, il faut noter qu’un grand nombre avaient un ton humoristique. Le premier jeu, Le vampire fou, avait des descriptions amusantes -- et, de façon plus générale, la plupart des jeux Froggy Software faisaient preuve d’humour dans les descriptions et dans les réponses aux commandes entrées par le joueur. [97] De nombreux autres jeux avaient de temps à autres un ton humoristique ou des descriptions amusantes, même si le jeu était une aventure longue et complexe ; par exemple, Le passager du temps avait un chat dans le bandeau à droite de l’écran qui pouvait donner de temps à autres des indices et commentait les actions qui se déroulaient, ce qui était l’occasion de faire des jeux de mots ou des blagues basées sur la culture populaire de l’époque. Mais, pour être totalement franc, une grande partie de l’humour des jeux de l’époque n’était pas franchement subtil ; lorsque les jeux en faisaient trop ou n’étaient pas assez subtils, cela donna des jeux qui vieillirent assez mal et qui ne montraient pas une qualité littéraire extraordinaire. Notons aussi que le fait que de nombreuses aventures textuelles faisaient souvent preuve d’humour (dans les descriptions et dans les réponses au joueur) dans une aventure par ailleurs sérieuse dans un monde pas forcément décalé semble être un artefact qui ne se retrouve pas vraiment dans des jeux d’aventure français postérieurs. La plupart des point-and-clicks créés par des compagnies françaises par la suite n’avaient pas ce genre d’ « humour compulsif » ; apparemment, ce phénomène ne se retrouve que dans les aventures en mode texte des années 1980.
Enfin, parlons un peu des thèmes abordés par les jeux ainsi que des mondes et des histoires créés par ces jeux. Il est intéressant de noter que les thèmes des jeux étaient très différents de ceux des jeux d’aventure en anglais, qui avaient souvent des thèmes orientés vers la fantasy et la science-fiction. Au lieu de ce genre de thèmes, les fictions interactives françaises semblaient souvent se dérouler dans une période historique définie : la Grèce antique (1001 BC, ERE Informatique, 1986), la Révolution française (Conspiration de l’an III, Ubi Soft, 1988), la Seconde Guerre Mondiale (Mission Secrète à Colditz, Soracom, 1986). Une grande variété de périodes historiques différentes furent utilisés dans ces jeux [98] -- en utilisant bien souvent l’argument d’une machine à remonter le temps (Le passager du temps, Conspiration de l’an III, etc.). La période historique la plus représentée au sein de ce genre de jeux est sans doute le Moyen Age (La geste d’Artillac, Montaigne, Les Templiers d’Orven, etc.) ; ce qui peut sembler logique, puisque la fantasy offre au sein d’un jeu un grand nombre de challenges et une atmosphère bien particulière. Cependant, il faut noter qu’il semblerait y avoir plus de jeux qui se passaient au Moyen Age plutôt que dans un monde de fantasy. [99] La fantasy est certainement un genre anglophone, et bien que le genre est devenu de plus en plus populaire en France, le « vrai » Moyen Age est sans doute plus fermement ancré dans la culture française, et c’est une période historique bien connue des joueurs français. Soit dit en passant, puisque l’on évoque la question des genres typiquement anglophones, il n’y a pas beaucoup de fictions interactives françaises qui se passaient dans un monde futuriste ou de science fiction. [100] Enfin, il y eut un bon nombre de jeux qui se passaient dans un monde contemporain, dont certains jeux qui, comme le note Tristan Donovan [101], étaient fermement ancrés dans la réalité et l’actualité : l’éditeur CobraSoft sortit des jeux comme Meurtre à grande vitesse en 1985, qui se déroulait dans le TGV entre Paris et Lyon et dans lequel vous aviez les deux heures que dure le voyage pour résoudre un meurtre, [102] ou encore Dossier G : l’affaire du Rainbow Warrior (également en 1985) qui faisait écho au scandale du Rainbow Warrior qui était sur toutes les lèvres à l’été 1985 ; il y eut aussi Mokowe (Lankhor, 1991), qui traitait du sujet des braconniers au Kenya. Enfin, notons que le genre de l’horreur était également plutôt populaire. [103]
Voici donc en quelques mots quelques-uns des aspects de la fiction interactive en français dans les années 1980 ; comme nous pouvons le voir, quelques particularités sont notables, à la fois dans le cadre d’une chronique du genre de l’aventure textuelle française ainsi que dans le cadre d’une comparaison avec ce qui se passait en ce qui concerne les jeux écrits dans d’autres langues. Nous allons maintenant avancer un peu dans le temps et parler de la fin des aventures textuelles en France, à la fin des années 1980.
Alors que les années 1980 touchaient à leur fin, il apparaît que la fiction interactive et les jeux d’aventure avec analyseur syntaxique étaient de moins en moins courants, et de plus en plus considérés comme une chose appartenant au passé.
Ceci se voit assez aisément dans les critiques des magazines de jeux vidéo. Il semblerait en fait que cette idée se soit développée à partir de 1988 : les critiques considéraient alors les aventures en mode texte comme un genre préhistorique -- même si des jeux d’aventures textuels à succès sortaient encore deux ans auparavant ! Par exemple, le jeu Mike et Moko, édité par MBC [104] en 1988, eut une critique plutôt positive dans Micro News, ce qui n’empêche pas le journaliste de ne pas comprendre pourquoi MBC gaspillaient de bonnes idées (ici, une aventure jouable par deux joueurs simultanément) en utilisant une forme de jeu épuisée et éculée ; la critique commence par « Les rois du jeu d'aventure à commandes textuelles frappées au clavier (genre disparu pourtant depuis quelques années) ont encore frappé ! ». [105] Un autre jeu, Le Maraudeur, qui sortit chez Ubi Soft en 1989, eut une critique dans Amstrad Cent Pour Cent qui jugea le jeu en des termes peu flatteurs, en commençant par « Voici un des derniers jeux d’aventure dans le pur style des jeux d’antan », et remarquant aussi, avec une pointe d’humour « Le style de ce jeu n’est pas surprenant, puisqu’il s’agit exactement du même style que les jeux d’antan (ceux sortis l’an dernier) ». En lisant ce commentaire, on a l’impression qu’en 1988, les critiques pensaient soudainement (ou décidèrent tout aussi soudainement) que le genre des jeux d’aventure textuels avec graphismes était un genre vieux et dépassé.
Que s’est-il donc passé en 1988 (ou l’année précédente) qui entraîna cette soudaine classification du jeu d’aventure en mode texte comme un genre dépassé ? Pour le comprendre, il faut regarder l’histoire des jeux d’aventure, et les jeux sortis autour de cette date pour essayer de retrouver ce qui s’est passé. Il s’avère qu’en réalité on peut considérer 1987 comme l’année où les jeux d’aventure qui se jouaient à la souris commencèrent à avoir un grand succès. Cette année-là, ERE Informatique sortit L’arche du Capitaine Blood, qui n’utilisait pas de ligne de commande mais un système point-and-click et un système de conversation basé sur des icônes ; le jeu eut beaucoup de succès et fut manifestement également un succès artistique, avec des critiques dithyrambiques qui saluèrent quasiment chaque aspect du jeu, [106] et de très bonnes ventes en Europe et dans le monde. 1987 fut aussi l’année de sortie de Maniac Mansion chez LucasArts Studios : ce jeu eut également beaucoup de succès, fit de LucasArts un des meilleurs développeurs du moment, et popularisa le système du point-and-click avec un petit nombre de verbes d’action. Ce fut également l’année de sortie du Manoir de Mortevielle, développé par le studio français Lankhor ; il s’agissait d’un jeu en point-and-click se déroulant dans un manoir dans lequel il vous fallait résoudre une affaire de meurtre. Le jeu eut de très bonnes critiques (qui notèrent par exemple sa synthèse vocale étonnante) et est toujours considéré comme un des classiques du jeu d’aventure français. Ceci porte à trois le nombre de classiques du jeu d’aventure en point-and-click dans la même année, ce qui sans nul doute généra beaucoup d’attention pour ce système nouveau, qui s’établit alors comme un changement bienvenu (plus facile à manipuler, meilleurs graphismes, et également par la même occasion meilleurs jeux) ; on peut facilement imaginer que lorsque des jeux d’aventure en mode texte avec des analyseurs syntaxiques déficients, des images immobiles et des histoires qui n’atteignaient pas le niveau de ces jeux, sortirent par la suite, la comparaison n’était pas très flatteuse, et le genre apparut alors comme complètement dépassé.
Dans les années qui suivirent, un certain nombre d’aventures en point-and-click qui eurent du succès sortirent : en ce qui concerne des jeux d’aventure français, on peut citer par exemple Les voyageurs du temps, sorti en 1989, Maupiti Island (la suite du Manoir de Mortevielle) en 1990, et Croisière pour un cadavre en 1991. Les jeux de LucasArts eurent aussi un certain succès en France à cette époque. Ce qui veut dire qu’entre 1987 et le début des années 1990, beaucoup de bons jeux d’aventure en point-and-click sortirent en France ; les aventures en mode texte, déjà considérées comme un genre dépassé, ne pouvaient rivaliser avec ce nouveau genre, et bientôt les aventures en mode texte étaient en voie d’extinction.
En peu de temps, le seul éditeur qui sortait encore des nouveaux jeux d’aventure français en mode texte était Lankhor -- et, paradoxalement, Lankhor était également l’éditeur du Manoir de Mortevielle et de Maupiti Island : la compagnie faisait à la fois des jeux d’aventure en mode texte ainsi que des aventures en point-and-click qui apparemment finirent par tuer le genre de l’aventure en mode texte. En 1990, La secte noire eut de bonnes critiques -- le jeu est décrit dans le numéro de septembre 1990 de Joystick comme une aventure très classique mais qui saura plaire aux fans du genre ; [107] sa suite, La crypte des maudits, sortit en 1991 et avait notamment un analyseur syntaxique amélioré : le jeu fut aussi bien reçu par la critique. [108] Mokowé fut l’un des derniers jeux de Lankhor, une aventure sur le sujet des braconniers au Kenya, avec par exemple une activité différente dans le village et dans la jungle en fonction de l’heure. C’était un jeu très difficile, mais également très intéressant. [109] Lankhor publia une ou deux autres aventures en mode texte, ainsi que d’autres aventures en point-and-click. Malheureusement, pour des raisons à peu près inconnues, l’éditeur arrêta de développer des aventures en mode texte. Il s’avère que la compagnie perdit beaucoup d’argent en 1993 avec leur jeu en point-and-click Black Sect (seulement 3000 copies vendues, la faute à une interface médiocre et des énigmes trop faciles), ce qui apparemment les poussa à revoir leur stratégie et arrêter le développement de certains jeux. Ils finirent par ne plus développer aucun jeu d’aventure, en mode texte ou pas : entre 1992 et sa fermeture (en décembre 2001, à cause de certaines difficultés financières), le studio ne fit que des jeux de course.
En regardant l’histoire de différents studios de l’époque, on peut remarquer quelque chose de très intéressant. En 1985, Eliott Grassiano, qui travaillait alors pour Loriciels, fonda Microïds avec l’aide des fondateurs de Loriciels ; Microïds devint un studio majeur du jeu d’aventure, créant notamment la série de jeux d’aventure Syberia. Eric Chahi, qui écrivit Le pacte pour Loriciels, travailla plus tard pour Delphine Software et créa Les voyageurs du temps, Another World et Heart of Darkness. Lorsque ERE Informatique fit faillite, beaucoup de gens qui travaillaient sur ces jeux fondèrent Cryo Interactive, qui devint une compagnie à succès, créant par exemple les jeux Under a Killing Moon, DragonLore, Chroniques de la Lune Noire, Faust, et une série de jeux d’aventures historiques en 3D qui eurent un grand succès en France (avec des jeux comme Versailles 1685 : Complot à la cour du Roi Soleil et Egypte 1156 av. J.C. : L’énigme de la tombe royale). Aussi, on peut noter que Infogrames et Ubisoft, fondés dans les années 1980, firent leurs débuts en publiant un certain nombre d’aventures en mode texte durant cette période (mais, précisons, pas seulement). Ce qui semble se dégager est qu’une grande partie des gens qui conçurent des aventures textuelles en France dans les années 1980 finirent par travailler sur divers autres jeux d’aventures qui furent plus tard connus dans le monde entier, ce qui poussa des critiques à parler de « French touch » dans les jeux d’aventure : les personnes qui contribuèrent à créer la « French touch » firent leurs premières armes en créant des jeux d’aventure textuelles, et on peut donc considérer celles-ci comme des précurseurs de la « French touch ».
Après la dernière aventure textuelle par Lankhor, en 1991, il semblerait que ce soit la fin des aventures textuelles en français. Je ne pus trouver une autre fiction interactive sortie sur un quelconque ordinateur après la date de 1992. Ainsi donc, de la même manière que dans d’autres communautés -- les communautés anglophones ou hispanophones, par exemple --, le genre semble mourir pour de bon. En fait, il est simplement en train d’hiberner, comme nous allons le voir dans la partie suivante : pour la communauté francophone, le printemps survint au début du millénaire.
L’an 2000 vit la résurrection de la fiction interactive française -- du moins, un effort constructif pour centraliser l’intérêt dans la fiction interactive, du côté des joueurs ou des créateurs. La mailing list Yahoo! « Inform_fr » fut créée cette année-là, avec pour intitulé « Mailing list des adaptations françaises de jeux d'aventures textuels Inform. Annonces de traductions, mises à jour et discussions relatives à la traduction et création de "fictions interactives" [sic] en langue française. » Plusieurs membres de cette mailing list restèrent, et sont toujours, des membres actifs de la communauté francophone.
Le vrai début de la création de fictions interactives en français en utilisant le langage Inform est certainement la traduction des bibliothèques Inform 6. La traduction fut réalisée par Jean-Luc Pontico, qui les rendit disponibles sur Internet en janvier 2001, ainsi qu’Aventure, une traduction (et de fait, la première dans l’histoire) du classique Adventure. L’année suivante, Eric Forgeot mit en ligne une version de démonstration de Le pouvoir délaissé (en écrivant que le jeu complet sortirait sous peu) ; il s’agit ici de la première création d’une nouvelle fiction interactive en français, mais malheureusement l’auteur passa à d’autres jeux et ce jeu est toujours incomplet à l’heure actuelle.
La première fiction interactive qui fut créée et terminée est Filaments, par JB Ferrant, parue en 2003. L’histoire du jeu tourne autour d’une jeune fille, Margot, qui vit à Paris et découvre peu à peu des évènements étranges et surnaturels ; le jeu est principalement un jeu d’aventure, avec pas mal d’humour également, mais aussi beaucoup de péripéties plus sérieuses et parfois dramatiques. Le jeu est plutôt long et a malheureusement quelques bugs gênants, mais cela reste un très bon jeu. Il s’agit également d’un jeu très moderne ; de plus, il est à noter que le jeu n’a pas de graphismes. Il fut traduit en italien la même année et gagna le prix du Meilleur Jeu en Italien de l’Année dans la communauté italophone.
JB est en réalité un auteur très important dans la communauté de fiction interactives francophones, et peut-être même le plus important. Après avoir écrit la première fiction interactive en français de l’époque moderne, il conçut deux autres jeux en 2004 et 2005. Ensuite, il s’attaqua à un projet plus ardu, un jeu bien plus ambitieux nommé Ekphrasis ; il s’agit en réalité du premier jeu en français avec des graphismes, du son, et de la musique, et est un long jeu à propos d’un professeur d’art qui voyage dans toute l’Europe (les graphismes montrent bien souvent tous les monuments visités par le personnage) pour enquêter sur un mystère concernant des faussaires et l’art de la Renaissance. Plus récemment, JB sortit Works of Fiction, son premier jeu en anglais ; malheureusement, aucune version en français du jeu n’est disponible. Il participa aussi à quelques Speed-IFs.
L’étape suivante dans le développement de la communauté francophone de fictions interactives fut la création d’un forum en août 2004, dans le but de centraliser les discussions des gens intéressés par les fictions interactives (en français et en anglais) ainsi que par la création de tels jeux. Le forum est toujours modéré par Eric Forgeot et reste plutôt animé de nos jours, puisque de plus en plus de personnes (et parmi eux, des auteurs potentiels) ont rejoint le forum depuis sa création.
Eric Forgeot est une figure centrale de la communauté francophone de fiction interactive ; sous son pseudonyme « Otto Grimwald », il est modérateur du forum depuis des années et donne souvent des conseils techniques aux jeunes auteurs qui demandent de l’aide sur le forum. Il est l’auteur d’un nombre assez important de jeux, remportant l’IF Comp française en 2007 avec Les heures du vent, et participant à toutes les Speed-IFs organisées. Il apporta également à la communauté quelques améliorations techniques, puisqu’il créa l’extension Inform 7 qui permet de créer des jeux en français dans ce langage (il est un fervent utilisateur de ce langage depuis sa sortie), et il traduisit également en français les bibliothèques pour JACL et Hugo, et créa un Live-CD Linux contenant les environnements de développement, les interpréteurs et des jeux, comme kit pour débuter dans la fiction interactive. Récemment, il écrivit un tutorial pour Inform 7, publié sur LeSiteDuZero.com, ce qui amena plus de gens (et parmi eux, des auteurs potentiels) à la communauté francophone.
La communauté francophone de fiction interactive devint de plus en plus organisée ; ce n’était donc qu’une affaire de temps avant qu’un équivalent de l’IF Comp ne fut créé. L’idée fut lancée par « Stab » en avril 2005, et peu après la première IF Comp française (ou Minicomp, à cause du petit nombre de jeux qui y entrent chaque année) fut organisée par Eric Forgeot. L’IF Comp française fut organisée chaque année depuis 2005, et en règle générale quatre ou cinq jeux y participent ; c’est toujours l’occasion pour les créateurs de finir un projet qu’ils avaient commencé, et la communauté, bien que de taille réduite, essaye de s’impliquer autant que possible.
Cinq participants soumirent un jeu pour la première IF Comp française : le gagnant fut Adrien Saurat, qui gagna avec un jeu au ton humoristique se déroulant dans une seule pièce nommé Le cercle des gros geeks disparus ; Adrien remporta également l’édition 2006 avec La cité des eaux, qui se déroulait dans un monde post-apocalyptique, et l’édition 2009 avec Catapole, l’histoire de ramoneurs dans une ville souterraine (ce jeu fut joué pendant une « édition internationale » de Club Floyd en 2010 [111]) ; il s’avère en fait qu’il gagna chaque Comp à laquelle il a participé. Il participa également à la première des deux Speed-IFs françaises (les Rapid’ Fictions) qui se déroulèrent en 2007 ; il participa à l’IntroComp en 2010 avec un jeu nommé Plan 6 From Inner Earth.
Un autre évènement organisé dans la communauté francophone fut la participation au Commonplace Book Project ; dans le cadre d’une exposition dans un musée sur le Commonplace Book de H. P. Lovecraft, plusieurs fictions interactives furent créées en utilisant des idées piochées dans le livre (qui se compose de notes préliminaires, des idées de Lovecraft pour des nouvelles ou des romans qu’il n’eut pas le temps de finir). Une demi-douzaine de jeux furent écrits en anglais, mais la communauté francophone (ainsi, d’ailleurs, que la communauté hispanophone) participa également au projet ; plusieurs membres de la communauté écrivirent chacun un chapitre basé sur une idée du livre, et les différents chapitres furent liés ensemble dans un jeu Glulx (avec images et musique) qui fut finalement exposé avec les autres documents dans le musée. Il s’agit là du premier (et, à ce jour, le seul) jeu créé à la suite d’un effort collectif, et il fut un succès complet.
Il est intéressant de noter que la communauté francophone redécouvrit également le concept des Speed-IFs, et en organisa quatre, la première à l’été 2007. Quelques-uns de ces jeux furent retravaillés par leurs auteurs et grossirent jusqu’à devenir des jeux de longueur moyenne (et avec relativement peu de bugs). De plus, l’organisation de ces Speed-IFs donna l’occasion à la communauté anglophone d’organiser également une Speed-IF (organisée par Jacqueline A. Lott, qui visite régulièrement le forum) sur le thème « Les francophones ont volé l’âme de la Speed-IF ! »
En voyant les différences entre l’histoire de la fiction interactive en anglais et celle de la fiction interactive en français, on peut se demander dans quelle mesure la communauté francophone est influencée par cette histoire particulière.
La réponse est simple, mais brutale : aucun héritage de cette histoire du genre ne subsiste au sein de la communauté francophone. En fait, aucun auteur contemporain de fiction interactive francophone ne se déclare influencé par quelconques jeux des années 1980, et pour beaucoup d’entre eux la raison pour laquelle ils s’intéressent à la fiction interactive n’est pas parce qu’ils y ont joué dans les années 1980 ; de plus, les jeux en français des années 1980 sont perçus comme dépassés et vides d’enseignements utiles pour les jeux contemporains. Le contraste avec la communauté des créateurs anglophones est frappant : beaucoup de gens qui jouent et écrivent de la fiction interactive en anglais ont joué dans le temps soit à des jeux Infocom, soit à des jeux Scott Adams ou Magnetic Scrolls ou bien Phoenix ; Curses, le premier jeu écrit en Inform (par le créateur de ce langage) fut unanimement décrit (même par son auteur) comme une fiction interactive dans la droite lignée de ce que faisait Infocom ; les jeux d’Infocom sont toujours considérés comme étant le canon de la fiction interactive de par leur qualité littéraire et leur inventivité. En comparaison, c’est à peine si la communauté francophone de fiction interactives fait référence à des jeux des années 1980 dans leurs discussions ou leurs créations, et l’histoire des aventures en mode texte dans les années 1980 en France n’est pas bien connue des membres de la communauté francophone de fiction interactive (comme le montre le présent article, qui tente d’écrire cette histoire pour la première fois).
En fait, on pourrait dire qu’il n’existe aucun socle commun, aucune culture commune qui lierait les membres de la communauté francophone ensemble. Il s’agit là d’une différence majeure avec la communauté anglophone de fiction interactive. Est-ce une mauvaise chose ? En un sens, oui, mais on pourrait considérer cela comme étant à double tranchant. Bien entendu, il s’agit d’un inconvénient : le fait qu’il n’y ait eu aucun éditeur de fiction interactive dans les années 1980 qui eût autant de succès qu’Infocom signifie que peu de gens jouaient à des fictions interactives dans les années 1980, et même s’ils y jouaient, ils ne s’en souviennent pas comme des aventures extraordinairement épiques et transformatrices. En fait, le grand succès d’Infocom peut se relier à deux facteurs : le fait que leurs jeux étaient disponibles sur tous les micro-ordinateurs, et la qualité même de leurs jeux, qui étaient des aventures longues, difficiles, épiques, et en un mot de très bons jeux. Ces deux facteurs ne se retrouvent pas dans les fictions interactives en français des années 1980. Les jeux furent, pour la majorité d’entre eux, exclusifs et limités à une console, et un faible nombre seulement furent disponibles pour plusieurs ordinateurs ; de plus, beaucoup de ces jeux vieillirent assez mal et furent considérés assez vite comme vieillots. En conséquence, alors qu’un grand nombre d’anglophones jouèrent passionnément aux jeux Infocom et trouvent avec joie des fictions interactives modernes, qui leur ressemblent, beaucoup moins de joueurs français jouèrent aux fictions interactives dans les années 1980, et même s’ils avaient probablement certains de leurs jeux qui appartenaient au genre, ces jeux paraissent maintenant vieillots, comme une chose du passé. De plus, leur forme était très différente de ce qu’est la fiction interactive de nos jours : il n’y a ainsi pas d’identification systématique de la fiction interactive contemporaine comme l’incarnation moderne et la direct descendant des jeux d’aventure en mode texte des années 1980. En conjuguant tous ces facteurs, on s’aperçoit que ceci implique que le public pour la fiction interactive en français est de taille très limitée, et ceci est un inconvénient majeur ; il ne fait pas de doute que le succès d’un éditeur de fiction interactive en français de l’ordre de celui d’Infocom aurait donné à la communauté francophone moderne une base de joueurs plus importante ainsi que plus d’auteurs potentiels, ce qui aurait raccourci la durée de la « période d’hibernation » que nous avons évoquée plus tôt. Une autre preuve de ceci peut être trouvée en regardant la communauté hispanophone : la compagnie Aventuras AD créa des fictions interactives entre 1988 et 1992 et eut un succès très important, entraînant un grand intérêt pour la fiction interactive, la création de fanzines, etc. La communauté eut ensuite une période d’hibernation et se réveilla en 1997, année qui vit la création d’un newsgroup (puis une mailing list, et enfin un site web avec un forum) à propos du genre, et une compétition fut organisée la même année [112] : le succès d’Aventuras AD, ainsi que l’intérêt au genre généré par ce succès, donna à la communauté hispanophone un réservoir de joueurs et auteurs potentiels qui fait que cette communauté est plus importante [113] et plus ancienne que la communauté francophone.
Mais, en un sens, ne pas avoir de références canoniques qui dicte ce qu’est la bonne fiction interactive signifie que le canon de la fiction interactive en français est encore à écrire : la communauté n’a que quelques années d’existence et a l’occasion d’essayer de créer des jeux qui auraient une influence sur le genre et d’explorer les paradigmes ludiques et narratifs à sa guise. De plus, puisque la communauté est petite, ainsi que le nombre de jeux, beaucoup de membres de cette communauté ont joué à la majorité des jeux en français, et l’on espère que ceci crée les conditions pour un échange entre auteurs et des influences réciproques au sein de la communauté, qui aurait ainsi conscience de se qui se passe en son sein et ce qui donnerait des nouvelles idées aux auteurs, ce qui réciproquement influencera d’autres auteurs.
Mais cette affirmation doit être tempérée : il s’avère que beaucoup de gens dans la communauté francophone peuvent lire ou parler l’anglais, et ainsi peuvent donc jouer à des fictions interactives en anglais. En conséquence, on ne peut pas vraiment considérer la fiction interactive française comme un vase clos où tout reste à (re)découvrir. En fait, la communauté francophone est très au fait de ce qui se passe au sein de la communauté anglophone et discute parfois des évènements qui s’y déroulent ; une grande partie des auteurs de fictions interactives en français ont joué, et continuent de jouer, à des fictions interactives en anglais. Ainsi, un certain nombre des sujets théoriques relatifs à la fiction interactive qui sont discutés dans des groupes de discussions, des forums ou des magazines en ligne sont connus des auteurs francophones ; ils connaissent les questions et développements récents relatifs au design d’un jeu, à la narration, aux systèmes de conversation, et bien d’autres thèmes importants, aussi bien qu’un auteur anglophone. Du coup, comme c’est le cas pour les auteurs anglophones, leurs créations et interfaces sont influencées par ces débats théoriques : les jeux francophones sont tout aussi modernes que leurs équivalents anglophones. Malheureusement, il paraît peu vraisemblable qu’un débat au sein de cette communauté à propos d’un aspect du genre, ou une nouveauté apportée par un jeu, ait une quelconque influence sur la fiction interactive en anglais : la barrière de la langue, ainsi que le fait que la communauté anglophone est très active, font que peu de personnes de la communauté anglophone regarderont ce que la communauté francophone (ou même une quelconque autre communauté) produit et ce dont elle discute. [114]
Si les auteurs de fiction interactive en français savent ce dont la communauté anglophone parle et débat, comment et dans quelle mesure sont-ils influencés par la fiction interactive en anglais ? Premièrement, il s’avère que quelques-uns des membres de la communauté francophone ont joué à des jeux d’Infocom avant de la rejoindre, que ce soit à la fin des années 1980 sur leur micro-ordinateur [115] ou en redécouvrant ces jeux sur des sites d’abandonware ; [116] encore une fois, on voit que les jeux d’Infocom créèrent un intérêt pour la fiction interactive chez certains gens. Mais même si certains jouèrent à ces classiques, ces jeux ne sont pas cités comme une influence majeure sur la communauté. Ils ne sont pas considérés par des « classiques » dans la communauté, [117] mais ceux qui y jouèrent s’accordent à dire que ce sont en effet de très bons jeux. Au lieu de cela, la communauté francophone joue à beaucoup plus de jeux de l’ère moderne -- comme nous l’avons mentionné plus haut, la communauté francophone se tient au courant de ce que fait la communauté anglophone. Parfois, il s’agit d’un jeu récent en anglais qui donna au joueur l’envie de s’intéresser au genre -- par exemple, la première fiction interactive à laquelle JB Ferrant joua est Aisle. [118] Plus généralement, beaucoup de membres de la communauté francophone de fiction interactive jouent à des jeux en anglais, que ce soient les jeux d’Infocom ou des jeux plus récents, [119] mais peu d’entre eux les citent comme des influences majeures.
Mais alors, que sont les influences de la communauté francophone de fictions interactives ? Qu’est-ce qui a généré cet intérêt pour la fiction interactive chez les membres de la communauté ? Les réponses possibles sont nombreuses. [120] Il apparaît que, presque tout le temps, les gens sont tombés sur un jeu qu’ils ont aimé et qui leur a fait vouloir pousser un peu plus leur exploration du genre, puis ils trouvèrent le forum de la communauté francophone ; [121] certains avaient déjà joué à ce genre de jeux auparavant, [122] pour d’autres ce fut une découverte totale. [123] Les jeux sur lesquels les joueurs tombèrent furent parfois des jeux d’Infocom, [124] dans d’autres cas des fictions interactives récentes en anglais, [125] mais pour une part non négligeable ce fut des fictions interactives en français qui générèrent de l’intérêt pour le genre. [126] En fait, Filaments peut être considéré comme décisif sur ce point : beaucoup de gens qui rejoignirent la communauté après sa sortie furent attirés vers le genre et voulurent jouer à plus de jeux dans ce genre après avoir joué et aimé Filaments. Ce jeu pourrait en fait même être considéré comme le premier « classique » de l’ère moderne de la fiction interactive francophone ; cependant, on note que d’autres jeux sont parfois cités comme étant les jeux qui donnèrent envie à certains joueurs d’en savoir plus et de rejoindre la communauté de fiction interactive. [127] Concernant les influences des membres de la communauté, il est intéressant de noter que beaucoup ont des intérêts similaires qui pourraient presque expliquer (ou du moins que l’on pourrait mettre en relation avec) leur intérêt dans la fiction interactive -- autre qu’un intérêt pour les ordinateurs et la programmation. Ces influences communes sont notamment les livres dont vous êtes le héros [128] [129] , les jeux de rôle [130] (quelques auteurs de fiction interactive sont ou ont été des maîtres de jeu dans des parties de certains jeux de rôle), les RPG sur ordinateur, [131] et de façon assez logique les jeux d’aventure. [132] Ces influences sont sans doute les mêmes au sein d’autres communautés comme la communauté anglophone, bien sûr, mais il est intéressant de les mentionner ici car peu de membres de la communauté francophone la rejoignirent (et devinrent membres de la communauté « moderne » de fiction interactive) parce que par exemple ils se rappelaient des fictions interactives auxquelles ils avaient jouées plus jeune : le but ici est de tenter de trouver des influences possibles qui pourraient, par leurs similarités avec la fiction interactive, [133] expliquer pourquoi les membres actuels de la communauté furent intéressés par la fiction interactive lorsqu’ils tombèrent dessus il y a quelques années. Essayer de déterminer quelles sont les influences des nouveaux membres de la communauté peut être utile si l’on veut déterminer ce qui ressemble à la fiction interactive (ce qui donnerait des indices sur la nature de la fiction interactive et ce qu’elle doit à une variété de genres), et si l’on veut comprendre ce qui potentiellement peut mener quelqu’un à la fiction interactive (et dont les publics qui peuvent s’y intéresser et venir grossir les rangs des adeptes du genre). De plus, il est facile de déterminer ces influences pour la communauté francophone, car il s’agit d’une petite communauté où, pour ainsi dire, tout le monde se connaît.
Pour terminer, parlons un peu des jeux produits par la communauté francophone. Il n’est peut-être pas très pertinent de chercher des motifs ou des tendances dans les jeux créés par cette communauté, à cause du faible nombre de jeux, mais aussi (et peut-être de façon plus importante) à cause du faible nombre d’auteurs : une soixantaine de jeux appartiennent à cette période moderne de la fiction interactive francophone, [134] et le nombre d’auteurs est d’à peu près une douzaine. [135] Ainsi, les motifs que l’on pourrait dégager pourraient trop dépendre des préférences individuelles particulières des quelques auteurs. On se bornera ainsi à noter que beaucoup de jeux se placent dans un cadre et un monde contemporains ; aussi, la fantasy et les jeux se passant au Moyen Age sont bien représentés (ainsi que quelques jeux « historiques » qui se déroulent dans une époque passée). Nous pouvons également noter qu’un certain nombre de jeux sont des jeux très courts, [136] et la majorité des jeux sont assez courts ; [137] cela étant, cela ne semble pas très différent de la production de fictions interactives dans d’autres communautés.
Pour résumer, au contraire de plus grosses communautés, la communauté francophone de fiction interactive ne semble pas tirer ses influences de l’histoire du genre ; ce manque d’histoire cause des obstacles supplémentaires à la communauté, puisqu’à cause de cela la fiction interactive n’est pas un genre très connu des joueurs, et il n’y a pas vraiment de point de repère, une référence culturelle commune que les joueurs pourraient instantanément associer à la fiction interactive. Ainsi, il s’agit en quelque sorte d’un genre totalement nouveau, ce qui peut dissuader certains d’y jouer, et il y a également le fait qu’il n’y a pas (ou peu) de joueurs nostalgiques qui découvrent la fiction interactive moderne et s’y impliquent, pour jouer à des jeux qui leur rappelleront ceux auxquels ils jouaient étant plus jeunes. Ainsi, la communauté est toujours très petite, et le public qu’elle touche semble être aussi petit. Cependant, il est intéressant de noter que cela fait que les membres de la communauté ont ainsi des influences différentes et composites, ce qui mène sûrement à des approches, des goûts et des idées différentes concernant la fiction interactive -- même si, pour être franc, la communauté est sans doute trop petite et trop jeune pour que l’on puisse distinguer des grandes tendances ou caractéristiques de la fiction interactive francophone, et ce qui distingue chaque auteur.
[1] : Au 4 janvier 2011, le décompte est : 142 jeux en espagnol, 139 en allemand, 55 en français, 25 en italien, 17 en suédois, 4 en néerlandais, 2 en russe, et un seul (souvent un jeu de démonstration) dans les langues suivantes : espéranto, norvégien, portugais, et slovène.
[2] : On peut trouver ces librairies à l’adresse : http://www.inform-fiction.org/translations/complete.html.
[3] : Sujet de discussion « German IF is dead » sur le newsgroup rec.arts.int-fiction, 21 juin 2007.
[4] : Command Lines: Aesthetics and Technique in Interactive Fiction and New Media, page 17, note 3.
[5] : http://www.obsolete-tears.com/Sinclair/pub_zx81.jpg.
[6] : http://www.obsolete-tears.com/commodore-c64-machine-26.html.
[7] : Tilt, numéro de juillet 1984, page 16.
[8] : Il faut garder à l’esprit que ceci se passa juste avant le boom des micro-ordinateurs.
[9] : http://fr.wikipedia.org/wiki/Oric_1.
[10] : http://www.obsolete-tears.com/oric-atmos-machine-23.html.
[11] : http://fr.wikipedia.org/wiki/Oric_Atmos.
[12] : http://www.obsolete-tears.com/amstrad-cpc-464-machine-5.html.
[13] : Marion Vannier, directrice d’Amstrad France ; rapportés dans Les Chroniques de Player One, page 38 (Editions Pika, 2010).
[14] : http://www.obsolete-tears.com/apple-europlus-machine-37.html.
[15] : http://www.albatos.free.fr/ordinateurs.php.
[16] : Il s’agit même pour certains membres de la communauté francophone de l’ordinateur sur lequel ils jouèrent à des fictions interactives et des jeux d'aventure dans leur jeunesse.
[17] : Tilt, numéro de juillet 1984, page 16.
[18] : Tilt, numéro de juillet 1984, page 82.
[19] : Tilt, numéro de juillet 1984, page 82.
[20] : En ce qui concerne Stuga, les auteurs du jeu avaient joué à Adventure et voulaient créer une version suédoise : groups.google.com/group/rec.games.int-fiction/msg/70df36d635f1ad19. Cependant, j’ignore comment ces auteurs réussirent à jouer à Adventure -- peut-être que le jeu transita d’abord grâce à la connexion norvégienne à l’ARPANET, puis arriva on ne sait comment sur un ordinateur central à Stockholm ?
[21] : Les activités de Ciel Bleu, l’éditeur de la première fiction interactive française, consistaient semble-t-il principalement à importer des programmes du Canada et les revendre à un prix plutôt élevé en France ; Jean-Louis Le Breton, fondateur de Froggy Software, se souvient que son objectif était de vendre des jeux en français à un prix abordable (entre 200FF et 250FF) comparé au prix des jeux en anglais vendus à l’époque (entre 350FF et 400FF).
[22] : Avec l’aide inestimable de Grégoire Schneller, qui fournit la plupart des références citées ici.
[23] : On reparlera de ce jeu un peu plus tard.
[24] : Micro 7, numéro de décembre 1983, page 137.
[25] : SVM, numéro d’avril 1984, page 88-89.
[26] : Objets et documents apparaissant dans l’histoire, reproduits et inclus dans la boîte du jeu pour plonger le joueur un peu plus dans l’ambiance -- une caractéristique des jeux d’Infocom.
[27] : Faire référence à un jeu américain obscur que personne ne connaît en France n’éclairerait pas le lecteur, et du coup cette interprétation est moins probable.
[28] : Une compagnie mystérieuse -- je n’ai pas pu trouver d’informations à son sujet, et du coup j’ignore si ils publièrent d’autres jeux d’Infocom en France à cette époque.
[29] : Ce qui est plutôt cher pour un jeu, et c’est probablement à des choses comme ça que Le Breton faisait allusion. A l’époque, on pouvait trouver des jeux -- et même certains jeux en anglais, comme on le verra -- sur ce micro pour environ 200FF.
[30] : Tilt, numéro de janvier 1985, page 76.
[31] : A la fois les aventures en mode texte seulement et les aventures avec graphismes, mais toutes avec un analyseur syntaxique, même si l’article parle principalement des aventures avec graphismes puisque le genre était plus courant en France à l’époque.
[32] : SVM, numéro d’avril 1985, page 115.
[33] : Peut-être pas tous les jeux disponibles, puisque Witness n’est même pas dans cette liste alors que Tilt le mentionne quatre mois avant.
[34] : Ces trois ordinateurs semblent ainsi être les plateformes sur lesquelles les jeux d’Infocom sortaient à l’époque.
[35] : Tous les autres jeux d’Infocom qui sortirent avant septembre 1985 -- c'est-à-dire tous les jeux d’Infocom sortis avant 1986 sauf Spellbreaker.
[36] : ST Magazine, numéro de septembre 1985, page 11.
[37] : Notons une autre liste, hilarante pour le connaisseur, faite par le même magazine quelques années plus tard dans son numéro d’août 1987 (page 55), où la liste des jeux édités par Infocom inclut Brimstone, Essex, « Mind Forever », Mindwheel, Sorcery et Skul/West.
[38] : Les jeux qui sont cités sont : Ballyhoo, Cutthroats, Deadline, Enchanter, Hitch Hikers Guide to the galaxie [sic], Infidel, Lurking Horror, Moonmist, Planet Fall [sic], Seastalker, Wishbringer, Witness, et Zork I, II, III.
[39] : Ce jeu ne sortit en effet jamais en France ; on peut lire dans une critique du jeu dans le numéro de septembre 1987 de ST Magazine (page 54) : « On vous en parlait le mois dernier : Bureaucracy est sorti. Pas en France, non. On est allé le chercher en Belgique, figurez-vous. » et « Malheureusement, les quelques-uns d’entre vous qui parlent assez bien anglais pour saisir toutes les subtilités du jeu auront d’abord à résoudre une énigme plus dure que celles qui sont proposées dans le jeu lui-même : trouver le logiciel ! »
[40] : Etait-ce à cause du manque du succès des jeux d’Infocom, ou bien le début de la fin pour Infocom qui aurait pu les pousser à choisir les titres à publier dans les autres marchés avec soin pour ne pas perdre d’argent ?
[41] : Dans le numéro de septembre 1987 de ST Magazine (page 54), le journaliste écrit : « Tous ceux qui ont essayé de vendre des jeux d’Infocom en France se sont retrouvés avec des stocks invendables. » C’est peut-être ce qui est arrivé à SIDEG, éditeur mystérieux qui édita Infidel (cf note 28).
[42] : Apparemment, les jeux d’Infocom ne sortirent jamais en France sur l’Amstrad CPC ou sur l’Oric, qui étaient les deux micros les plus populaires à l’époque ; la raison était peut-être que ces micros n’étaient pas très populaires aux Etats-Unis, et qu’il aurait fallu un peu plus de travail pour adapter la Z-Machine sur ces plateformes d’abord pour distribuer les jeux en Europe ; en tout cas, c’était peut-être une erreur de la part d’Infocom, mais cela n’aurait sans doute pas changé grand’chose.
[43] : Malheureusement, les recherches à propos de ces jeux furent moins poussées et complètes, ce qui laisse de la place pour des analyses plus complètes et détaillées.
[44] : Micro 7, numéro d’avril 1984, page 118.
[45] : Tilt, numéro de janvier 1985, pages 71 et 73.
[46] : Tilt, numéro de janvier 1985, page 76.
[47] : ST Magazine, numéro de décembre 1987, page 55.
[48] : Micro 7, numéro de mars 1984, page 107.
[49] : Tilt, numéro de janvier 1985, page 70.
[50] : ST Magazine, numéro de décembre 1985, page 31.
[51] : ST Magazine, numéro d’août 1987, page 55.
[52] : Le Tilt d’Or des Meilleurs Graphismes décerné à The Pawn en 1986, et le Tilt d’Or pour le Meilleur Jeu d’Aventure en Anglais décerné en 1988 à Corruption.
[53] : Le critique de Hebdogiciel ne réussit pas à dépasser le premier écran, même après avoir essayé tous les verbes qui lui venaient à l’esprit, et déclara « nous avons décidé de dire que ce soft était nullement praticable en dessous du niveau Maîtrise d’anglais ».
[54] : D’autres exemples sont une traduction de Eureka, de Ian Livingstone, et quatre autres traductions de jeux d’aventure en mode texte par la compagnie française Les Aventures en 1985 pour le Spectrum.
[55] : Contrairement à d’autres pays, comme les Pays-Bas ou en Scandinavie, où on met plus l’accent sur l’apprentissage de l’anglais (par exemple en ayant des programmes télévisés sous-titrés au lieu de doublés) ; le cliché classique est que le Français ne sait pas parler anglais, ce qui n’est pas forcément très éloigné de la réalité.
[56] : Ce qui aurait mené à un boom un peu plus tôt, puisqu’il y aurait eu d’excellents jeux sur micro-ordinateurs ?
[57] : Tilt, numéro de janvier 1985, page 76.
[58] : SVM, numéro d’avril 1985, page 115.
[59] : Après tout, le boom des micro-ordinateurs survint en 1984, avec des micros qui avaient de bonnes capacités graphiques ; est-ce que les Français attendaient juste des meilleurs graphismes avant d’acheter en masse des micros ?
[60] : Qui est maintenant dessinateur, notamment dans les pages de Fluide Glacial.
[61] : http://www.jeanlouislebreton.com/fiches/01.php?id_news=45&SECTION=17.
[62] : Wired.com, extraits tirés de Replay: The History of Video Games par Tristan Donovan, http://www.wired.com/gamelife/2010/06/french-touch-games/.
[63] : Ibid.
[64] : On peut trouver une photo hilarante de Le Breton dans le numéro de décembre 1983 de Micro 7, page 31, où il semble faire de son mieux pour incarner le stéréotype du Français.
(http://download.abandonware.org/magazines/Micro%207/micro7_numero11/Micro%207%20N11%20%28Decembre%201983%29%20-%20Page%20031.jpg).
[65] : http://www.jeanlouislebreton.com/fiches/01.php?id_news=45&SECTION=17.
[66] : Un prix prestigieux donné par Apple chaque année pour récompenser des jeux sur les ordinateurs Apple //.
[67] : Wired.com, extraits tirés de Replay: The History of Video Games par Tristan Donovan, http://www.wired.com/gamelife/2010/06/french-touch-games/.
[68] : Ibid.
[69] : Ce qui apparemment aurait découragé les éditeurs américains contactés par Froggy Software pour éditer le jeu aux Etats-Unis de publier le jeu.
[70] : Un portage du jeu en Inform (sans les graphismes) fut réalisé par l’auteur de cet article et peut être trouvé à l’adresse : http://ifiction.free.fr/index.php?id=jeu&j=013.
[71] : Un portage du jeu fut réalisé par l’auteur de cet article et est disponible sur l’IFDB, de même que l’image-disque originale à l’adresse : http://ifdb.tads.org/viewgame?id=brxdd0j3xu8mmgmc.
[72] : Dans le même style que le jeu anglais Masquerade, par exemple.
[73] : On note que La femme qui ne supportait pas les ordinateurs fut décrit par Froggy Software comme étant un « roman interactif », un terme qui cependant ne fut pas repris par d’autres éditeurs ou critiques.
[74] : Le jeu était un jeu d’aventure dans lequel votre personnage devait explorer une série de pièces d’un château à la recherche d’un artefact ; le jeu fut salué par la critique, notamment en raison de son atmosphère et de ses graphismes en 2D isométrique.
[75] : Il s’agit de la récompense pour le jeu de l’année décernée par le magazine Tilt.
[76] : Leur stratégie était d’être très ouverts à des nouveaux jeux ou des nouveaux auteurs : n’importe qui pouvait leur envoyer une cassette de leur jeu, et ils l’éditaient s’ils l’appréciaient ; c’est de cette manière qu’ils éditèrent L’aigle d’or.
[77] : Tilt, numéro de janvier 1985, page 74.
[78] : Tilt, numéro de janvier 1985, page 58.
[79] : Pas si étrange si on lit le nom du jeu à l’envers...
[80] : Il fut premier dans le top des ventes en France, en Allemagne, en Italie, et au Royaume-Uni ; il fut sixième aux Etats-Unis.
[81] : Même s’ils étaient de mauvaise qualité ; on peut trouver dans le numéro de janvier 1985 de Tilt (page 76) une remarque parlant de certains développeurs (peu scrupuleux) qui dessinaient de très belles illustrations pour l’écran-titre et les premières salles, alors que le reste des graphismes étaient de bien moindre qualité, le but étant d’attirer le joueur en lui promettant des graphismes de qualité.
[82] : L’image-disque de ce jeu est plutôt difficile à trouver, mais un portage en Inform de ce jeu fut réalisé par l’auteur de cet article et est disponible à l’adresse http://ifiction.free.fr/index.php?id=jeu&j=029.
[83] : Un réseau français pour les ordinateurs Apple //, qui utilisait le réseau de communication Transpac, et qui fournissait des services comme des salles de chat, une messagerie électronique, des forums de discussion (ou leurs ancêtres), et les actualités en temps réel (via le service de l’Agence France Presse). Parmi les utilisateurs du réseau on compte Jean-Louis Le Breton (sous le pseudonyme « Pépé Louis »), Chine Lanzmann (« Chine »), et certains de leurs amis, qui font tous une apparition dans le jeu.
[84] : Même si la critique du jeu dans Tilt le désigne comme « premier jeu de rôle entièrement en français ».
[85] : De nombreux articles sur Loriciels mentionnent plutôt L’aigle d’or comme étant leur premier succès.
[86] : Tilt, numéro de juillet 1984, pages 54-55.
[87] : Inspiré par le scandale du Rainbow Warrior de l’été 1985.
[88] : Comme on peut le voir ici : http://grospixels.com/site/images/vampirefou/vampirefou02.gif.
[89] : On peut se demander si ces graphismes furent-ils influencés par Mystery House, ou par Le vampire fou.
[90] : L’Apple //+ et l’Oric-I ne pouvaient afficher qu’une poignée de couleurs, et l’affichage était aussi imprécis. De fait, tous les jeux d’aventure sortis sur l’Oric-I avaient les mêmes graphismes, similaires à ceux du Mystère de Kikekankoi. La génération suivante de ces micro-ordinateurs, l’Apple //c et l’Oric Atmos, pouvaient afficher plus de couleurs.
[91] : http://cpcrulez.fr/GamesTest/view.php?game=bad_max.
[92] : Amstrad Magazine, numéro de février 1986.
[93] : C’était le cas pour les jeux d’Infocom, Magnetic Scrolls et Level 9 Computing.
[94] : Amstrad Magazine, numéro de février 1986.
[95] : SRAM (ERE Informatique, 1986) affichait un dessin de cochon à l’écran et disait au joueur « C’est une photo de toi l’an dernier ».
[96] : Oxphar (ERE Informatique, 1987) disait « Il vous faut venger cette infamie ! » et le jeu se changeait soudainement en un casse-brique où il fallait casser toutes les briques, qui formaient le mot INFAMIE -- ce qui, d’après les critiques, pouvait prendre un certain temps.
[97] : Dans Même les pommes de terre ont des yeux, un jeu se passant dans une dictature sud-américaine, la réponse par défaut de l’analyseur syntaxique si la commande n’était pas reconnue était « Ma ! Yé né sais pas faire ça... »
[98] : Il semblerait que les Français aiment particulièrement l’Histoire ; dans le jeu vidéo, on peut le voir par le succès de Les voyageurs du temps par Delphine Software, ou par les jeux du studio Cryo Interactive qui, en collaboration avec le Groupement des Musées Nationaux, sortirent une série de plus d’une douzaine de jeux point-and-click en 3D prérendue qui eut un grand succès, chacun avec un cadre historique différent -- Pompéi, Versailles, la Grèce antique, la Chine antique, le Mexique aux temps aztèques, etc.
[99] : Ces jeux pouvaient également facilement incorporer des éléments tirés du jeu de rôle -- par exemple, Citadelle.
[100] : A comparer avec les six jeux de science-fiction publiés par Infocom.
[101] : http://www.wired.com/gamelife/2010/06/french-touch-games/
[102] : Il est intéressant de noter en passant que CobraSoft est le seul éditeur à ma connaissance qui incorporait des « feelies » (cf note 26) avec leurs jeux ; certains jeux, comme Meurtre à grande vitesse, avaient dans la boîte de jeu des indices que le joueur découvrait dans le train dans le jeu, comme une cassette ou des ongles.
[103] : Avec des titres comme Le vampire fou, Le manoir du Docteur Génius, ou Le pacte.
[104] : Un éditeur français dont la spécialité étaient les jeux d’aventure en mode texte avec des graphismes ; la société fut créée plutôt tard (1985), et publia une demi-douzaine de jeux avant la banqueroute, et créa également son propre langage de programmation pour ce genre de jeux, Jade/Jadis.
[105] : http://cpcrulez.fr/GamesTest/view.php?game=mike_et_moko.
[106] : Le jeu remporta le Tilt d’Or la même année.
[107] : http://cpcrulez.fr/GamesTest/view.php?game=la_secte_noire.
[108] : http://cpcrulez.fr/GamesTest/view.php?game=la_secte_noire.
[109] : http://cpcrulez.fr/GamesTest/view.php?game=mokowe.
[110] : Pour un complément d’informations, le lecteur intéressé pourra se référer à la chronologie de la fiction interactive moderne écrite par Eriorg et publiée dans le numéro 47 du magazine online (en anglais) SPAG ; cette chronologie est plutôt complète jusqu’à 2006. On peut la trouver à l’adresse : http://www.ifwiki.org/index.php/History_of_Interactive_Fiction_in_French.
[111] : Un transcript de cette session est disponible sur le site du ClubFloyd : http://www.allthingsjacq.com/intfic_clubfloyd_20100704.html.
[112] : SPAG, numéro 49, « A History of Spanish IF ».
[113] : Une autre possibilité pour essayer d’expliquer la différence de taille serait de prendre en compte le nombre de personnes qui parlent espagnol (castillan) dans le monde (500 millions) et le nombre de personnes qui parlent français dans le monde (250 millions). J’ignore si, comme c’est le cas dans la communauté francophone, beaucoup de gens qui jouent à de la fiction interactive en espagnol sont Espagnols ; si c’est le cas, puisque la France compte 65 millions d’habitants alors que l’Espagne en compte 45 millions, cela prouverait que la proportion de personnes qui jouent à de la fiction interactive en espagnol est plus importante que la proportion de personnes jouant à de la fiction interactive en français. Mais même si l’on considère les chiffres mondiaux, le wiki de CAAD indique que le nombre de jeux qui sortent chaque année est à peu près de 25, alors que dans la communauté francophone une année avec 10 jeux qui sortent est considérée comme une très bonne année ; la proportion semble également plus grande.
[114] : Très peu de membres de la communauté anglophone ont tenté de regarder ce qui était produit par les autres communautés ; les seules exceptions que je connais sont des critiques de Ekphrasis par Emily Short (sur son site personnel) et Felix Plesoianu (SPAG, numéro 47), une traduction de Olvido Mortal par Nick Montfort, et une session de jeu de Catapole au ClubFloyd en 2010 (organisée par Jacqueline A. Lott, qui visite occasionnellement le forum de la communauté francophone).
[115] : Cf « Interview of Adrien Saurat » dans le numéro 47 de SPAG, et le post de présentation de Eriorg sur le forum de la communauté.
[116] : Comme c’est le cas pour Samuel Verschelde (« Stormi »), qui dénicha The Hitchhiker’s Guide to Galaxy et A Mind Forever Voyaging sur un de ces sites, puis découvrit la communauté francophone de fiction interactive.
[117] : Mais il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de jeux qui sont considérés par tous comme des « classiques ». Il y a plusieurs raisons à cela : pas de culture commune de fiction interactive et peu d’héritage des années 1980 (ainsi donc, pas d’éventuels « vieux classiques du genre »), peut-être aussi une certaine réticence à parler de jeux en anglais comme des classiques (puisque tout le monde ne parle pas anglais), et une communauté très jeune qui n’a pas encore produit beaucoup de jeux. Le seul candidat au titre pourrait éventuellement être le premier jeu en français de l’ère moderne, Filaments, dont nous parlerons un peu plus tard.
[118] : « Interview of JB », SPAG, numéro 47.
[119] : Cf plusieurs sources, comme le numéro 47 de SPAG (« Interview of Adrien Saurat ») et la liste sur l’IFDB des jeux auxquels ont joué Eric Forgeot (« Otto Grimwald »), Grégoire Schneller (« Eriorg »), Samuel Verschelde (« Stormi ») et moi-même (« Dutchmule »).
[120] : Pour un compte-rendu plus détaillé de ces facteurs, le lecteur intéressé pourra lire le sujet de présentation des membres sur le forum de la communauté francophone
(http://ifiction.free.fr/taverne/viewtopic.php?f=1&t=7), ainsi que les interviews de JB Ferrant et Adrien Saurat dans le numéro 47 de SPAG.
[121] : Ce n’est pas tout à fait vrai pour quelques-uns des membres récents de la communauté, qui lurent un tutoriel pour Inform 7 écrit par Eric Forgeot sur SiteDuZero.com ; on manque d’informations sur l’origine de leur intérêt pour la fiction interactive.
[122] : Comme c’est le cas pour Adrien Saurat, Eric Forgeot, et Grégoire Schneller.
[123] : Comme c’est le cas pour JB Ferrant, Benjamin Roux, Samuel Verschelde (qui décrit s’être senti bête de découvrir en 2000 que ce genre de jeux existait) et moi-même.
[124] : Comme ce fut le cas pour Samuel Verschelde et Adrien Saurat (The Hitchhiker’s Guide to Galaxy) et Benjamin Roux (Zork).
[125] : Comme pour JB Ferrant (Aisle) et Grégoire Schneller (Savoir-Faire).
[126] : Comme pour Grégoire Schneller (qui avait joué à Savoir-Faire, mais ne l’avait pas vraiment aimé, puis joua à Filaments, qu’il aima bien plus) et moi-même (Filaments).
[127] : La cité des eaux, qui gagna l’IF Comp 2006, et le court jeu parodique Les espions ne meurent jamais, sont parfois cités.
[128] : Principalement la collection éditée par Folio Junior.
[129] : Il se trouve que JB Ferrant collectionne les livres dont vous êtes le héros de cette collection (il possède plus de 300 livres), a écrit trois livres-jeux (qui peuvent être achetés sur son site personnel), et sa deuxième fiction interactive, La mort pour seul destin, est un hommage à la série Sorcellerie!. Je fus moi-même un joueur enthousiaste de ces livres.
[130] : Comme pour JB Ferrant, Jean-Luc Pontico, et Adrien Saurat.
[131] : La série des Ultima, ainsi que Baldur’s Gate, sont souvent cités.
[132] : La série des Monkey Island semble être une référence pour beaucoup, ainsi que la série des Myst, et bien d’autres.
[133] : Ce que ces influences ont évidemment en commun avec la fiction interactive sont des choses comme l’interactivité, la résolution d’énigmes, et des narrations avec branchements ; on pourrait sans doute trouver plus d’éléments en commum.
[134] : Notons que quelques-uns de ces jeux sont en réalité des jeux créés par des jeunes auteurs pour se familiariser avec le langage de programmation.
[135] : Il y a en fait 16 auteurs, dont 9 qui ont écrit plus d’un jeu.
[136] : En partie à cause des jeux créés pour se familiariser avec un langage de programmation, et également des jeux de Speed-IF, mais pas seulement.
[137] : Les seuls jeux longs sont Filaments et Ekphrasis de JB, semble-t-il.
[138] : Cependant, la fiction interactive en français entra également dans une période d’hibernation similaire à celles qui frappèrent les communautés anglophones et hispanophones, probablement à cause de la montée des jeux en point-and-click ; le fait que le genre ne reposait pas entièrement sur les épaules d’une seule compagnie n’empêcha pas cette hibernation.
[139] : Il semblerait que ce soit ce qui est arrivé à la communauté germanophone un temps, où tous les auteurs en allemand se mirent à écrire leurs jeux en anglais car ainsi leurs jeux auraient plus de joueurs et seraient plus remarqués.
Tout élément de cette page (mis à part les images, dont les droits appartiennent à leurs propriétaires respectifs) est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transposé.